" Se tourner vers les marchés dédiés à l'environnement "
Philippe Prohin, dirigeant de la société Nymphéa, au Cailar (30), développe petit à petit son expertise dans le domaine environnemental pour se positionner en spécialiste de la phytoépuration. L'entreprise, qui dispose désormais d'une structure spécialisée et d'un salarié affecté à ce secteur, a ainsi pu compenser en partie les effets de la crise.
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Producteur de plantes aquatiques, Philippe Prohin a toujours eu une idée claire de leur importance écologique. Fort de son expérience, l'horticulteur a diversifié ses activités dès 2010 en se tournant vers les marchés de l'environnement. En parallèle, il participe à des projets de recherche et développement afin d'accroître son expertise dans le domaine de la phytoépuration (traitement du milieu par les plantes). Cette évolution est née d'une conviction profonde du producteur : « Demain, l'horticulture ne sera pas seulement dédiée à la contemplation, mais aussi à l'habitat écologique, à la dépollution... Et en tant qu'employeur et producteur dépendant du climat, le développement durable fait partie de mes valeurs. » Aujourd'hui, l'entreprise reste à flot grâce à cinq secteurs distincts : ornement, environnement, R & D, mais aussi formation et cosmétique.
- Le chef d'entreprise a petit à petit augmenté son chiffre d'affaires « environnement » pour passer de 10 % en 2013 à 30 % en 2015. Une stratégie inspirée qui lui a permis de compenser en partie les effets de la crise : sur la même période, le chiffre d'affaires global a diminué de 15 %, alors que le chiffre « jardinerie » a, lui, chuté de 30 %. Cette évolution ne s'est pas faite sans concession. « Nous avons réduit nos prix pour prendre les marchés "environnement". Mais nous récupérons du chiffre sur les prestations de services (études, chantiers de plantation, suivis, formations, préconisations). »
Pour développer son réseau, l'entreprise expose sur des salons spécialisés comme Pollutec (69) ou HydroGaïa (34). C'est ainsi que Philippe Prohin a intégré le projet FUI Zhart (Zones humides artificielles).
- Le projet Zhart, lancé en août 2012, a pour finalité de dimensionner et commercialiser des zones de rejet végétalisées en sortie de station d'épuration (STEP). Il doit apporter des garanties quantitatives d'abattement des micropolluants dans les eaux rejetées, ainsi que des garanties d'enrichissement en biodiversité locale animale et végétale. Il fait suite à la création et à l'étude de la première zone Libellule (Zone de liberté biologique et de lutte contre les polluants émergents), mise en eau sur 1,5 ha en août 2009, en aval de la STEP de Saint-Just - Saint-Nazaire-de-Pézan (34).
Bénéficiant de l'aide du Pôle Eau à Montpellier (34) et de Transfert LR, le projet Zhart rassemble plusieurs partenaires (1), dont Nymphéa, qui a construit dans ce cadre une serre R & D. L'investissement total de l'entreprise s'élève à 300 000 euros : avances remboursables de 75 000 euros de la région Languedoc-Roussillon et de 75 000 euros de la BPI (Banque publique d'investissement), et 150 000 euros empruntés avec caution à la BPI. Ce budget a servi à financer l'embauche en 2013 d'un ingénieur agronome, Marie-Ange Lebas (50 000 euros par an), l'installation de la serre R & D et la participation du chef d'entreprise à mi-temps sur le projet.
Les premières expérimentations ont débuté en mars 2013. Trente-trois molécules sont suivies (oestrogènes, antibiotiques, perturbateurs endocriniens...), dix variétés végétales ont été sélectionnées. Trois cocktails de plantes sont testés sur trois substrats reconstitués. Le projet est dans sa phase finale. S'il n'a encore permis aucun retour financier (attendu avec la commercialisation du système), il a apporté une reconnaissance de l'entreprise dans le milieu du génie écologique.
- Nymphéa dispose désormais d'une structure spécialisée et d'un salarié affecté au secteur « environnement ». La serre R & D, dotée d'une double paroi gonflable et équipée d'un filet insect-proof, comprend une partie dédiée à la production de plantes environnementales et une partie au dispositif expérimental ainsi qu'un local technique (stockage de matériel, station météo - ensoleillement, température, humidité, vent -, logiciel de relevés de données). Le dispositif expérimental se compose de différents éléments : bacs internes et externes en PE alimentaire, pompes péristaltiques, caissons de rehaussement, tuyaux PTFE, sondes de températures (de l'eau et de l'air) et d'hygrométrie.
Marie-Ange Lebas est chargée du développement de la gamme environnementale. Elle réalise les suivis des projets (participation à la rédaction des protocoles, mise en place des dispositifs expérimentaux, relevés de données) et communique sur le développement de l'entreprise (2).
- L'établissement développe son expertise en intégrant de nouveaux projets. Elle est ainsi prestataire d'un projet Anses (2014-2016), pour lequel elle loue son dispositif expérimental. Ce projet, intitulé Expovis (3), a pour objectif d'étudier l'exposition de la population locale à des molécules polluantes issues de l'emploi d'antidépresseurs, herbicides et antibiotiques (carbamazépine, atrazine...) présentes dans l'eau d'une nappe souterraine utilisée pour l'arrosage, le jardinage et le loisir des particuliers. L'étude tient compte des interactions entre eau, plante et substrat. Elle s'effectue sur des sols reconstitués (uniquement avec des composants normalisés : gravier, sable BTP, argile RHP, tourbe noire, quartz...) de façon à s'approcher le plus possible de ceux de la plaine de la Vistrenque où se trouve la nappe. Nymphéa met à disposition les microcosmes et la serre permettant de contrôler les paramètres climatiques. Quatre végétaux de consommation, arrosés avec de l'eau de forage, sont étudiés : salade et radis, tomate, riz, respectivement pour des cycles court, moyen et long.
- Pour sensibiliser les acteurs de la filière aux milieux humides et au génie écologique, Nymphéa propose des sessions de formation d'une semaine. Celles-ci s'adressent aux paysagistes, aux personnels des collectivités et des entreprises de l'eau ainsi qu'aux employés de jardineries. La présence de nombreux sites humides autour de l'exploitation permet à l'entreprise d'effectuer des visites in situ de réserves naturelles (domaine du Scamandre, village de Gallician), artificielles (zone de rejet végétalisée, à Vauvert, dans le Gard), ou de bassins aquacoles (carpes koï). Ainsi, en 2013 et 2014, elle a formé les Compagnons du devoir (spécialisation horticulture et paysagisme) sur deux sessions (4) : « Observation et appréhension des milieux aquatiques » et « Réaliser un bassin ornemental, environnemental aquatique ». L'entreprise possède depuis 2015 un numéro de formateur agréé.
- Philippe Prohin s'engage donc dans la brè-che environnementale avec résolution, en témoigne le prix de la Dynamique agricole et de la Pêche que l'entrepreneur a reçu en 2011 dans la catégorie « agriculture durable ». Cette détermination, il la conserve, malgré une amertume évidente, née de la pression incessante qui pèse sur la production : charges en hausse, prix tirés vers le bas, manque de connaissances des acheteurs de la distribution et des maîtres d'oeuvre... L'horticulteur en a assez des cahiers des charges basés sur la dimension du contenant et non sur le contenu, des demandes de roseaux d'un an d'âge lorsqu'il faudrait parler en semaines de culture (la période végétative s'étalant sur 26 semaines) ou encore des délais de commande impossibles à tenir. « Pour certaines graines, de la récolte in situ des semences jusqu'à la mise en place sur le site de plantation, il se passe 3 à 5 ans (3 mois pour obtenir la micromotte, puis culture en tunnel froid et extérieur pendant au moins 2 ans). Or, on me passe parfois commande 6 mois, voire seulement 2 mois à l'avance ! » Confronté à certaines préconisations de bureaux d'études spécialisés dans le génie écologique, il se rebelle : « Pour tout ce qui concerne le végétal, le producteur reste le spécialiste ! Cela fait trente ans que je fais du "génie écologique". La qualité d'une plante phytoépuratrice ne se juge pas à la taille du pot ou à la beauté de ses feuilles, mais à son développement racinaire et à la composition de son substrat. » Philippe Prohin regrette que le savoir-faire du producteur de plantes ne soit pas davantage reconnu. D'autant plus que, pour lui, l'avenir de l'horticulture passe par la vente de ce savoir-faire dans le domaine du végétal mais également de l'environnement. De ce côté, les horticulteurs ont un rôle extraordinaire de sensibilisation à jouer. « Malheureusement, conclut le dirigeant de Nymphéa, on tue une profession qui possède la matière grise, les compétences et les valeurs nécessaires à la survie de la planète... »
Valérie Vidril
(1) Des TPE (Nymphéa, bureau d'études en ingénierie écologique Rive), des universités et des laboratoires d'analyse (université de Nîmes, Laboratoire Leres, LPTC de l'université de Bordeaux, université de Tours), et des groupes de la filière eau (Suez Environnement, Lyonnaise des Eaux, Degrémont).(2) Voir le Lien horticole n° 917-918 du 18 février 2015, « Érosion, qualité de l'air et de l'eau : les végétaux ont beaucoup de génie... », pp. 10-11.(3) Partenaires : université de Nîmes, laboratoire Leres, Syndicat mixte des nappes Vistrenque et Costières, Nymphéa.(4) Le Lien horticole n° 835 du 20 mars 2013, « Les Compagnons du devoir se forment à la création de bassins », pp. 20-21.
Dans le cadre du projet Zhart, Marie-Ange Lebas a été embauchée. Aujourd'hui, elle est chargée du développement de la gamme environnementale. PHOTO : VALÉRIE VIDRIL
La serre expérimentale permet de travailler sur de nouveaux projets R & D. Ici le projet Expovis, mis en place depuis juillet 2015. PHOTO : NYMPHÉA
Les critères de sélection d'une plante phytoépuratrice ne sont pas les mêmes qu'en ornement. La qualité du système racinaire prime. Côté feuillage, si un roseau n'est pas taillé avant plantation, il risque de mourir à cause de l'évapotranspiration. Ici, un roseau d'un an (soit 26 semaines de culture). PHOTO : VALÉRIE VIDRIL
Nymphéa a fourni les plantes de la zone de rejet de Vauvert (30), ouverte au public. Autour des bassins végétalisés à vocation d'épuration (abattement des polluants, filtration des particules en suspension...), un cheminement invite à la promenade. PHOTO : VALÉRIE VIDRIL
Environ 60 % des graines sont récoltées au sein de la pépinière ou dans les spots de ramassage, le reste auprès d'un grainetier européen. PHOTO : VALÉRIE VIDRIL
Depuis quatre ans, l'entreprise n'utilise plus d'herbicide. Aujourd'hui, c'est Crunch, Roundup, Feta..., arrivés en 2013, qui se chargent du désherbage. PHOTO : VALÉRIE VIDRIL
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