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“Connaître les écueils à éviter avant de changer d'énergie ”

Depuis plus de trente-cinq ans, Gabriel Gardet, responsable des établissements Gardet installés à Thel (69) et à Boisset-lès-Montrond (42), chauffe les serres de ses deux sites de production aux déchets de bois. Un parcours dont il a tiré les enseignements au fil du temps et de la pratique...

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Gabriel Gardet a une longue expérience du chauffage biomasse. Son entreprise possède deux sites : la maison Gardet frères à Thel (69), avec un hectare de serres chaudes de plantes vertes et fleuries et un chauffage à bois installé en 1976 ; le Gaec de la Dame à Boisset-lès-Montrond (42), à trente minutes de Saint-Étienne, avec un hectare de serres chaudes et de serres froides, et un chauffage à bois datant de 1978. De par cet historique, l'horticulteur a appris à « connaître les écueils à éviter avant de changer d'énergie ».

Gabriel Gardet est clair : choisir une nouvelle énergie constitue une décision stratégique irréversible, qui engage l'entreprise sur le long terme. Cette décision doit être mûrement réfléchie. « Pour moi, le facteur déclenchant ayant entraîné le choix d'une nouvelle énergie a été le premier choc pétrolier suite au conflit du Sinaï, et la hausse des coûts de chauffage. » Mais en dessous d'une consommation de 50 000 à 80 000 euros par an « vous laissez tomber », recommande le professionnel. « En serre froide, cela suppose une structure supérieure à un hectare à chauffer. Par ailleurs, si vous n'avez pas déjà une installation de chauffage centralisée, changer d'énergie risque de coûter extrêmement cher. »

Vient la question du choix de l'énergie. « Si le changement entraîne autant de dépenses de chauffage que l'installation d'origine, ce n'est pas la peine ! » Gabriel Gardet a transformé la question « Quelle énergie ? » en « Que puis-je brûler près de chez moi ? » À Thel, l'entreprise est entourée de dix scieries, dont il a pu récupérer la sciure. Quant au Gaec de la Dame, il a d'abord fait appel à des menuisiers, puis a signé des contrats avec des entreprises qui fabriquent des poteaux. Par ailleurs, il est nécessaire de vérifier que le combustible choisi peut être brûlé légalement.

« Il faut éviter les produits manufacturés (bouchons, plaquettes), car le prix est équivalent à celui des matières fossiles. Recherchez un produit sans valeur. Les granulés coûtent quatre fois plus cher que les déchets de bois ! En 1976, la sciure était poussée dans les remblais. Quarante ans plus tard, elle est utilisée pour la fabrication de panneaux de particules et son prix est prohibitif... À Thel, nous utilisons désormais les gros déchets des produits d'écorçage, que nous payons environ 5 euros le m3. Les palettes déchiquetées offrent de gros volumes disponibles, mais ont deux gros défauts : elles contiennent toujours des morceaux de métal, mais aussi des mélaminés comportant des colles, peintures... donc nous ne les utilisons pas. »

Il faut trouver un approvisionnement en circuit court et pour le long terme.« Mon père s'est installé en 1940 avec une chaudière à bois. Après la guerre, il est passé au charbon ; puis au fioul domestique... pour revenir au bois en 1976 ! » Une fois le combustible choisi, le producteur doit évaluer la quantité nécessaire pour satisfaire ses besoins en chauffage. « Chez Gardet frères, la puissance installée est de 2 500 kW, soit 80 m3 de déchets de bois par jour en hiver, l'équivalent d'un gros camion ! Or, une autonomie de un à deux mois de combustible est nécessaire ; seuls les institutionnels s'offrent le luxe de ne pas avoir de capacité de stockage ! » Gabriel Gardet convertit 1 kg de fioul en 6 kg de bois humide environ.

Outre le bâtiment prévu pour conserver le volume des déchets (1 000 m2), la chaudière à bois requiert beaucoup de place (cinq à dix fois le volume d'un équipement traditionnel). « C'est non seulement volumineux, mais également bruyant. » Par ailleurs, le producteur souligne que le dégagement de fumées rend difficile l'intégration d'une chaudière à bois dans un environnement urbain.

L'outil doit être adapté au combustible. En 1976 et 1978, les établissements Gardet ont investi dans deux chaudières à charbon aménagées pour brûler de la sciure, équipées de silos à vis. Ils les ont remplacées à Thel en 2000 et au Gaec de la Dame en 2002 par deux installations polycombustibles. « Il ne faut pas considérer la chaudière comme un incinérateur ! À Thel, nous y mettions le contenu de la benne en plastique : la chaudière a fonctionné pendant six mois, puis le plafond est tombé ! La chaudière à bois ne peut brûler que le combustible prévu par le constructeur. Aujourd'hui, nous utilisons aussi de la poussière de tissu à base de chanvre, lin et coton : c'est possible si ces matériaux ne contiennent pas de colle. » Pour Gabriel Gardet, un obstacle récurrent porte sur la puissance à installer : « Quitte à vous tromper, il vaut mieux une chaufferie plus importante ! », affirme-t-il. Ainsi, les 2 500 kW de sa chaudière danoise à Thel servent à chauffer les 10 000 m2 de serres, mais aussi les bâtiments annexes et l'eau d'arrosage... Ce surdimensionnement lui évite aussi d'installer un open buffer. À Boisset-lès-Montrond, la chaudière a été sous-dimensionnée (1 500 kW au lieu de 1 800 kW) : l'horticulteur a été obligé de changer ses cultures pour des plantes de serre froide. « Il est nécessaire de réaliser un audit thermique pour optimiser la puissance maximale. »

Une fois résolues les questions de combustible, de stockage et d'outil, il faut prévoir la maintenance.« La chaufferie à bois est une source de pannes permanentes, ainsi que le système de chargement des silos. L'entretien occupe un quart à un tiers de temps, dont le chargement du silo trois fois par semaine avec un engin de levage. » Le coût global de maintenance peut atteindre 3 000 à 6 000 euros par an, auxquels il faut rajouter le coût des pièces détachées, « toujours très chères ». Finalement, pour l'horticulteur, le coût de la chaudière ne représente que 50 % de l'investissement total. Par exemple, sur les 400 000 euros d'investissement pour l'installation du chauffage à bois à Thel, environ 250 000 euros maximum sont pour la chaudière. « Attention, il faut investir dans du matériel neuf pour obtenir des subventions. » Le producteur recommande de prévoir une chaudière de secours performante au fioul ou au gaz, « car une panne peut arriver à n'importe quel moment ». Il faut donc deux systèmes indépendants, ainsi qu'un groupe électrogène à démarrage automatique.

« Nous avons financé les deux installations polycombustibles sur vingt ans : c'était une erreur, c'est trop long. Car, dix ans après, les fumées ont corrodé les tuyaux et nous devons les changer, soit une dépense de 28 000 à 100 000 euros selon les devis ! » L'horticulteur cite d'autres raisons de limiter la durée d'amortissement : la hausse du prix du combustible par exemple. « Il n'y a rien d'acquis en énergie renouvelable. En vingt ans, votre 'fameux' combustible pas cher sera peut-être valorisé par un industriel. La sciure en est un exemple... » L'entreprise elle-même peut évoluer (agrandissement, nouvelles spécialités...), les équipements devenir plus performants...

« Avant d'investir dans un changement d'énergie, mieux vaut examiner les économies qu'il est possible de réaliser pour ne pas 'chauffer les étoiles' : écran thermique, calorifugeage des réseaux de transport de fluide, ordinateur climatique, gestion des températures sur 24 heures, changement de cultures... », ajoute Gabriel Gardet.

Valérie Vidril

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