" Jardins de soins : le Domaine de Chaumont-sur-Loire fait école "
Grâce à des financements européens et à des formations, le Domaine de Chaumont-sur-Loire (41) a déjà aidé une petite dizaine de maisons de retraite à concevoir un jardin de soins. Deux d'entre elles, - la Résidence du Bourg à Yvoy-le-Marron (41) et le Centre de rencontre des générations au Domaine de Mont-Evray à Nouan-le-Fuzelier (41) -, ont créé et animent ces espaces devenus lieux de vie.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
Les maisons de retraite sont parmi les établissements médico-sociaux les plus friands de jardins comme lieux de vie et d'animation. Mais pas facile de créer un jardin, à partir de rien, sans compétence en interne. Comment le concevoir, quelles plantes choisir, quelles animations proposer, comment le faire vivre dans le temps ? Pour plusieurs maisons de retraite en Grande Sologne et dans le Vendômois, ces questions ont trouvé leurs réponses grâce à une collaboration originale avec le Domaine de Chaumont-sur-Loire (41), organisateur du Festival international des jardins et, depuis 2012, l'un des seuls endroits en France à proposer des ateliers de formation aux jardins de soins sous la direction des pionniers Anne et Jean-Paul Ribes.
Hervé Bertrix, le responsable du centre de formation, a confié à Anne Ribes un atelier sur les jardins de soin, deux fois par an. En 2011, elle avait contribué à l'un des espaces présentés au festival. Ses atouts : infirmière de formation, expérimentée auprès d'enfants autistes à la Pitié-Salpêtrière (Paris, 13e), titulaire d'un BTS « Art du jardin aménagement paysager », elle cherche à concilier volonté de soigner et désir de jardin dans ce qu'elle envisage au départ comme « l'hôpital vert ». Depuis 2012, plus de 120 participants issus du milieu horticole et du milieu médical ont suivi des ateliers de trois jours. Parmi eux : Fabienne Peyron, paysagiste indépendante, et Paule Lebay, infirmière à la maison de retraite d'Onzain (41), qui vont former la base de la dream team mise à disposition des maisons de retraite locales.
Les Pays de Grande Sologne et du Vendômois, dans le cadre du programme de la Commission européenne LEADER qui finance des projets pilotes dans des zones rurales, ont approché le conseil régional du Centre avec, entre autres, un projet de jardin de soins en maisons de retraite.
Sollicité pour participer à l'appel public pour ce projet, Hervé Bertrix candidate avec succès. Son argument fort est qu'il peut rassembler toutes les compétences nécessaires dans une équipe pluridisciplinaire composée d'Anne et Jean-Paul Ribes, de Fabienne Peyron, de Paule Lebay, mais aussi de Dominique Marboeuf, ancien responsable des espaces verts du centre hospitalier psychiatrique de La Roche-sur-Yon - 85 (voir le Lien Horticole n° 895, du 27 août 2014) et de Frédéric Vietti, paysagiste écologue pour le choix des plantes et par ailleurs formateur à Chaumont-sur-Loire. Première étape : une séance de formation : « Qu'est-ce qu'un jardin de soins ? » menée par le couple Ribes auprès des deux maisons de retraite les plus motivées, la Résidence du Bourg à Yvoy-le-Marron (41) et le Centre de rencontre des générations au Domaine de Mont-Evray à Nouan-le-Fuzelier (41). « C'est indispensable pour fédérer l'équipe et que tout le monde prenne conscience des enjeux », affirme Hervé Bertrix. Dans le Vendômois, cinq esquisses ont été réalisées même si les jardins ne sont finalement pas sortis de terre dans les courts délais impartis par le programme LEADER.
La conception du jardin démarre avec une enquête préliminaire et une étude des lieux. Il faut remplir plusieurs objectifs : une thérapie cognitive stimulant les sens, l'orientation temporelle et spatiale, l'imagination et les souvenirs, mais aussi une thérapie par l'action qui développe l'estime de soi et mobilise les résidents, ainsi qu'un fort lien intergénérationnel et social qui désenclave l'établissement. Dans la pratique, Fabienne Peyron commence à dessiner des jardins qui prennent en compte la sécurité des résidents avec des dénivelés en douceur, des cheminements qui privilégient la lumière et la vue, des circulations le plus arrondi possible. Auprès de cette paysagiste, formée à l'École nationale supérieure du paysage de Versailles - 78 (après une carrière de biologiste), Dominique Marboeuf a joué le rôle de conseiller en s'appuyant sur ses quarante ans d'expérience dans la création d'espaces au sein d'un environnement thérapeutique. Ensemble, ils révisent les esquisses qui sont présentées aux directrices des maisons de retraite.
À la suite d'un appel d'offres, le terrassement et les plantations peuvent commencer (à Nouan-le-Fuzelier, la phase d'installation a eu lieu début octobre 2015). On trouve des plantes pérennes et des vivaces couvre-sol dont l'entretien est limité, des arbustes à fleurs et quelques arbres symboliques comme des ginkgos et des érables. Pour le potager, on plante des courges, des tomates, des framboises, des fraises en terre ou dans des bacs surélevés. Des bancs pour se reposer et une cabane de jardinage pour ranger les outils complètent les jardins. « Ces lieux sont dans la continuité de la formation de Chaumont-sur-Loire », résume Hervé Bertrix. « Ils privilégient la simplicité, travaillent sur le vivant. Ce ne sont pas des espaces contemplatifs mais des zones dont le jardinage est réfléchi. Il peut aussi y avoir un carré sauvage où l'on n'intervient pas. On y respecte les plantes pour voir où elles se plaisent. »
En ce début d'automne, Paule Lebay vient de terminer huit séances de formation auprès des animatrices d'Yvoy-le-Marron. « Parmi les participants, certains sont jardiniers et d'autres n'ont aucune connaissance. À chaque visite, je formais les deux animatrices, puis nous faisions un atelier dans l'après-midi pendant lequel nous travaillions en binômes avec les résidents qui ne sont pas autonomes. Puis nous finissions par un débriefing. Je conseille par rapport à ma propre expérience. La philosophie des ateliers est de laisser le participant faire, c'est lui qui prend soin de la plante. »
Véronique et Marie-Laure, les deux animatrices de la maison d'Yvoy-le-Marron, sont ravies d'avoir une nouvelle option dans leur boîte à outils. « Nous avions un parc, mais il n'était pas aménagé et il était difficile d'accès. Nous avions aussi quelques jardinières dans les patios, mais la perspective était bouchée par les murs. Le jardin, qui a vue sur l'étang et l'église, est un but de promenade avec les soignants, leur famille, ou même seuls. Ce sont les résidents qui ont trouvé le nom du lieu : Le jardin d'cheu nous. Parfois, nous devons aller les chercher devant la télé. Mais ensuite ils éprouvent toujours de la satisfaction. » Pour elles, un des bienfaits est de raviver la mémoire ancienne des outils, des variétés, des noms de plantes d'une façon qui ne met jamais les résidents en échec. Deux familles s'impliquent en participant aux ateliers hebdomadaires. Des enfants vont continuer à venir sur le temps périscolaire. Le jardin est aussi devenu un endroit destiné aux exercices de gym. Un lieu de vie, en somme, que les résidents aperçoivent depuis la salle à manger. Très visible également pour les passants, il donne une image positive de la struture de santé.
« Notre outil de mesure, c'est l'envie d'y retourner. Le médecin et la psychologue qui ont assisté à un atelier aimeraient mesurer les effets. Ce serait un beau projet pour un étudiant en psychologie par exemple », concluent les deux animatrices, elles-mêmes jardinières à titre personnel. Pendant l'hiver, les activités se focaliseront sur la construction d'un hôtel à insectes, de boules de graisse pour les oiseaux et la planification des plantations du printemps,un plaisir qui replace le jardin dans le cycle des saisons et le sens de l'anticipation.
À quelques kilomètres de là, dans le vaste parc du Centre de rencontre des générations au Domaine de Mont-Evray à Nouan-le-Fuzelier, un jardin sécurisé a aussi vu le jour. Planté principalement de courges pendant l'été, il a accueilli ses plantations définitives début octobre (Lonicera japonica 'Hall's Prolific' et Clematis 'Polish Spirit' pour la pergola, différentes variétés de Calluna plus près du bâtiment, des aromatiques, des fleurs...). « Dès le mois de mars, nous avons commencé des ateliers avec des enfants du primaire en mélangeant une quinzaine d'entre-eux avec quatre ou cinq résidents. Puis en juin, des ateliers avec les personnes âgées ont pris le relais. L'objectif est d'apporter du bien-être, de limiter l'angoisse et les troubles du comportement », explique Aurore Feignier, la psychologue du centre qui fait partie du groupe formé par Paule Lebay (aides-soignantes, bénévoles et animatrice). « On ne force pas, on sollicite. Les patients sortent d'eux-mêmes et s'approprient le jardin au quotidien. »
Du coup, la maison de retraite d'Yvoy-le-Marron est devenue un site pilote visité par d'autres établissements. Les mois à venir devraient apporter de nouveaux projets à l'équipe pluridisciplinaire de Chaumont-sur-Loire : un troisième en Grande Sologne, un peut-être en Vendômois. Si bien qu'Hervé Bertrix imagine déjà le Loir-et-Cher comme le département phare des jardins de soins en France.
Isabelle Boucq
Infirmière formée à l'horticulture, Anne Ribes est la pionnière des jardins de soins en France depuis les années 1990. En 2014, dans le cadre des Assises régionales du fleurissement (notre photo), à Tours (37),elle avait donné une conférence sur ce thème. PHOTO : ODILE MAILLARD
Les travaux de terrassement, ici au Centre de rencontre des générations, à Nouan-le-Fuzelier (41), sont une source d'intérêt pour les résidents. PHOTO : FABIENNE PEYRON
Les résidents de la maison de retraite d'Yvoy-le-Marron (41) ont investi leur jardin qu'ils ont baptisé « Le jardin d'cheu nous ». PHOTO : FABIENNE PEYRON
Renforcer les liens entre les résidents et les soignants des établissements de santé, comme ici à Yvoy-le-Marron, est l'un des bienfaits d'un jardin de soins. PHOTO : PAULE LEBAY
Au sein de la maison de retraite d'Yvoy-le- Marron, le plaisir de planter est également accessible aux personnes en fauteuil grâce aux bacs surélevés. PHOTO : PAULE LEBAY
La paysagiste Fabienne Peyron et l'ancien responsable des espaces verts du centre hospitalier psychiatrique de La Roche-sur-Yon (85) Dominique Marboeuf ont signé les plans de septs jardins, dont deux ont déjà été réalisés. PHOTO : FABIENNE PEYRON
Pour accéder à l'ensembles nos offres :