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" Changer l'image de la ville en reconnectant les citoyens à la nature "

Isabelle Baudet, responsable du service des parcs et jardins : « Annemasse possède de réelles richesses naturelles qui sont aujourd'hui mises en valeur et accessibles aux Annemassiens. »PHOTO : VILLE D'ANNEMASSE

Isabelle Baudet gère le patrimoine végétal et naturel d'Annemasse (74). En grande partie ignoré des habitants comme des visiteurs il y a encore une quinzaine d'années, sa mise en valeur par le secteur des espaces verts au sein du service des parcs et jardins façonne aujourd'hui l'identité de cette commune située à la frontière franco-suisse.

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« À mon arrivée à Annemasse en 2008, aux yeux de la plupart des gens, la ville avait parfois une connotation négative, identifiée comme une commune frontalière de transit pour les gens de passage, ou comme cité dortoir pour une partie de la population travaillant à Genève, en Suisse », explique Isabelle Baudet, responsable du service des parcs et jardins. Les soixante-cinq hectares d'espaces verts disséminés sur la commune sont peu visibles, noyés dans le béton d'une urbanisation dense dédiée en priorité à la voiture. L'Arve, rivière qui chemine au sud de ce territoire, est séparée du centre-ville par une colline morainique rendant son accès difficile. L'avenue de l'Europe, axe routier 2 x 2 voies qui longe ce cours d'eau, accentue encore cette séparation. « Nous avons eu l'opportunité au service des parcs et jardins d'accueillir en stage un élève ingénieur qui a travaillé sur la Trame verte et bleue. Il a mis en évidence une autre vision de la ville à travers les parcs et les espaces verts existants. La dissémination de ces lieux paysagers se révèle comme un atout. Ces zones forment l'élément de base d'une future Trame verte urbaine. Par cette distribution, l'étude met aussi en évidence la proximité de chaque Annemassien avec un coin de "nature urbaine". Les élus et les habitants n'ont jusque-là pas conscience de ce potentiel. Le conseil départemental, à qui l'étude est remontée,trouve le cas d'Annemasse intéressant et souhaite travailler avec le CEREMA (1) sur la notion de nature en ville : comment inverser le regard, penser la ville comme un "possible" pour des espaces de nature et non pas la nature comme un espace possible pour le développement urbain », poursuit Isabelle Baudet.

Un parc à moins de 5 minutes à pied pour chaque habitant. L'étude du CEREMA a pour mission de donner des éléments de méthode aux collectivités de Haute-Savoie, afin de mettre en oeuvre des projets de restauration et de valorisation. À partir de ce travail, une démarche type de restauration est élaborée, transposable aux collectivités du département. Le CEREMA compose une équipe pluridisciplinaire regroupant des compétences en écologie, urbanisme et paysage. À Annemasse, cette équipe s'attache à étudier, à partir d'un diagnostic préalable, comment améliorer la prise en compte de la nature sur ce territoire urbain. Les enjeux et les premières pistes sont définis en concertation avec les acteurs locaux, particulièrement impliqués (élus et techniciens), suivis d'un plan d'actions contenant des axes prioritaires techniquement détaillés.

La ville a été pensée jusque-là uniquement en fonction de la voiture : transit vers la Suisse, déplacements, mais aussi besoin de trouver un coin de nature forcément situé, aux yeux des habitants, en dehors du milieu urbain. Annemasse possède pourtant de réelles richesses naturelles mais celles-ci sont peu visibles et souvent sous-estimées. Aussi, penser la ville différemment, c'est valoriser et renforcer les potentialités en matière d'espaces verts ou naturels, avec pour objectif un parc à moins de cinq minutes à pied de chaque habitant. C'est aussi imaginer une autre façon de se déplacer : diminuer la place des véhicules, favoriser les déplacements à vélo et piétonniers.

Rendre la cité plus agréable à vivre. Les liaisons vertes constituent le point de convergence de ces différents objectifs, d'une part en créant une Trame verte, lien entre les différents pôles verts de la ville et, d'autre part en aménageant un cheminement paysager sécurisé favorisant les déplacements des usagers au quotidien et les accès aux grands espaces naturels situés aux portes de la commune. Ce vaste projet repose sur différents axes. Tout commence par la mise en valeur des parcs existants, avec pour optique de les ouvrir davantage sur la ville, par un cheminement bien identifié et un travail sur la transparence des végétaux pour donner plus de profondeur. Des tailles et élagages judicieux visent à aérer la couronne des arbres et redonner une forme libre aux arbustes. Il y a ensuite la limitation des voies de circulation ou de stationnement sur les avenues pour laisser place aux transports en commun, aux voies cyclables et piétonnes ombragées. Les arbres d'alignement ont eux aussi abandonné leurs formes architecturées pour des silhouettes plus naturelles. Une politique de replantation a aussi été adoptée : pour chaque sujet abattu pour raison sanitaire ou à l'occasion de grands travaux, deux nouveaux sont plantés.

Des jardins ont été créés en pied d'immeubles, des bandes de 20 à 50 centimètres de largeur qui sont gérées par les habitants. Des quartiers ont été ouverts sur la ville, à l'exemple de celui du Livron avec la démolition d'une grande barre d'immeubles. De nouveaux bâtiments Haute qualité environnementale (HQE) intégrant des toitures et murs végétalisés ont été construits.

Enfin, de nouveaux espaces verts créés sur le domaine public ont pris la place de zones de parking : on peut citer la restructuration de la place du Jumelage où des arbres ont été plantés ou la création d'un parking souterrain d'une capacité de 634 emplacements sous la place de la Libération, en centre-ville, permettant un réaménagement en surface d'un endroit ombragé dédié aux piétons et aux cyclistes. Au boulodrome, le regroupement des parkings a permis d'aménager un nouveau site consacré à des jardins familiaux, et la création d'une prairie fleurie.

Une politique foncière visant à acheter des terrains pour étendre les zones végétalisées a aussi contribué à cette nouvelle orientation. Dans le quartier du Vernand, la ville négocie avec les propriétaires en leur facilitant les possibilités de construction sur une partie des parcelles le long des voiries et récupère en échange l'espace non construit de manière à structurer la commune avec des espaces verts publics. En centre-ville, l'achat d'une propriété jouxtant une parcelle communale a permis de créer un parc de 3 000 m². Dans le quartier du Brouaz, le projet est plus ambitieux, le futur parc aux abords de l'hôpital privé Pays de Savoie et du service des parcs et jardins couvrira une quinzaine d'hectares.

Des espaces naturels labellisés. La préservation de la faune et de la flore constitue un point fort des liaisons vertes en maintenant des corridors écologiques entre les différents pôles de biodiversité. La gestion différenciée, avec le développement de nouveaux modes de gestion, a en outre contribué à l'émergence d'une véritable biodiversité urbaine : abandon des pesticides chimiques, acceptation de la flore spontanée, fauches tardives, maintien des arbres morts pour les pics et insectes du bois, culture de plantes mellifères, de plantes à baies et graines pour les oiseaux. Les notions d'espaces verts et d'espaces naturels tendent aujourd'hui à se rejoindre.Les coteaux morainiques, surplombant l'Arve, représentent une vaste zone naturelle. Ces lieux, qui accueillaient au début du XXe siècle des jardins et vignes, sont aujourd'hui en grande partie boisés. À la suite d'une politique d'acquisition foncière, 6 hectares sont à présent propriété de la ville, ce qui a rendu possible, au fil des aménagements successifs entre 1998 et 2014, la création d'une liaison piétonne reliant la cité aux bords de l'Arve entre le haut et le bas du coteau. « La création du parc des Coteaux du Vernand en 2013 a révélé les richesses naturelles du site, souligne Isabelle Baudet, les relevés de biodiversité ayant notamment mis en évidence la présence du crapaud sonneur à ventre jaune (Bombina variegata), espèce protégée au niveau européen. Ces inventaires et la sauvegarde des habitats ont guidé le projet : redécouverte des sentiers existants, préservation des mares, des lisières forestières pour le maintien d'une population de chauves-souris, réhabilitation des prairies sèches à partir de semences récoltées sur des prairies du Genevois. Les fauches tardives avec exportation du foin ont permis le retour des orchidées. Le site a été classé en 2014 "Espace de nature ordinaire" par le conseil départemental et a été le premier "Espace naturel sensible" urbain labellisé dans le département. » Le projet intègre également le côté patrimonial rappelant que les lieux étaient autrefois des jardins (voir encadré). Située à proximité, la zone humide de l'espace des Gavilles a fait l'objet d'une mise en valeur en 2011 avec récupération des eaux de ruissellement de la route pour être filtrées avant retour à l'Arve. Le plan de gestion prévoit notamment la sauvegarde de saules têtards dont les cavités abritent une faune spécifique.

Pour la gestion de ces différents sites, Annemasse a noué des partenariats avec diverses associations naturalistes ou patrimoniales comme la LPO (2), la FRAPNA (3), les Croqueurs de pommes ou l'Abeille du Salève qui gère les ruchers municipaux. Un poste d'animateur dédié à l'environnement a été créé pour faire découvrir ces richesses naturelles aux Annemassiens, quel que soit leur âge, des enfants aux personnes âgées.

Enfin, la création du parc du Vernand et son cheminement piétonnier à travers le coteau contribue à reconnecter les habitants à la rivière et leur ouvre l'accès, sans utiliser la voiture, aux grands espaces naturels comme la montagne du Salève ou la voie verte qui relie Chamonix-Mont-Blanc (74) à Genève par les bords de l'Arve. Le symbole d'une reconnexion plus large aux espaces verts et à la nature !

Claude Thiery

(1) Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement. (2) Ligue de protection des oiseaux. (3) Fédération Rhône-Alpes de protection de la Nature.

Cette vue aérienne montre qu'Annemasse n'est pas une ville béton.

PHOTO : VILLE D'ANNEMASSE

La gestion différenciée avec le développement de nouveaux modes de gestion en ville a contribué à l'émergence d'une véritable biodiversité urbaine.

PHOTO : VILLE D'ANNEMASSE

L'aménagement de cheminements paysagers sécurisés favorise les déplacements des usagers au quotidien et les accès aux grands espaces naturels aux portes de la ville.

PHOTO : VILLE D'ANNEMASSE

L'information destinée aux usagers permet de valoriser la politique de mise en exergue des espaces verts auprès du public.

PHOTO : VILLE D'ANNEMASSE

Du mobilier signalétique a été installé dans les espaces nature de la ville, comme ici au coeur des jardins familiaux du Planet.

PHOTO : VILLE D'ANNEMASSE

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