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“La mycorhization contrôlée est devenue notre spécialité”

Christine Robin, directrice commerciale des Pépinières Robin, à Saint-Laurent-du-Cros, dans les Hautes-Alpes, revient sur l'expertise acquise progressivement par l'entreprise dans la mycorhization des plants. Un pari sur l'avenir, lancé il y a près de cinquante ans.

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« Le chiffre d'affaires global de l'entreprise, fondée en 1948, n'a jamais cessé de croître grâce à notre adaptation permanente », introduit Christine Robin. La directrice commerciale des Pépinières Robin, dont le siège se situe à Saint-Laurent-du-Cros (05), cite pour exemple la production de sapins de Noël, les normes Iso et les mycorhizes. Dans ce domaine, l'entreprise a développé une expertise, qui lui permet aujourd'hui de commercialiser avec succès ses plants mycorhizés forestiers (Haute performance®) et avec champignons comestibles (Plants truffiers Robin®, Plant champignon®, Arbres champignon®).

« Les plants mycorhizés représentent plus de 40 % de notre chiffre d'affaires », se félicite Christine Robin. Ce positionnement sur un marché de niche a sauvé l'entreprise, à l'origine spécialisée dans la production de plants forestiers. « Durant quinze ans, le maître mot a été régénération naturelle : la forêt spontanée a progressé, sans reconstitution de sites exploités, raconte la responsable commerciale. Du coup, le nombre de plants forestiers plantés a été divisé par quatre pendant cette période. Pour faire face à cette situation, nous n'avons pas cherché à augmenter notre capacité de production pour diminuer les coûts. Nous avons arrêté les plants en racines nues pour ne proposer que du godet. Nous nous sommes ainsi départis d'une branche importante de notre production. Le but premier était d'améliorer les résultats en plantation chez nos clients avec des jeunes plants plus performants. Dans les années 80, la majorité des chantiers de notre clientèle était située en conditions difficiles : reboisement en haute montagne ou revégétalisation RTM (Restauration des terrains de montagne), avec des terrains très pauvres et une forte érosion ; chantiers en zone méditerranéenne, avec des sols pauvres et calcaires, et un climat chaud et sec... Après la mise au point des godets Robin antichignon ®, qui permettent de produire des plants dotés d'un système racinaire très développé et sans malformation – grâce à l'autocernage et au système antichignon –, la mycorhization contrôlée est devenue notre spécialité. Elle était la suite logique de l'évolution de notre production. »

« Mon père, Max, a réalisé ses tout premiers essais de mycorhization dans les années 60 avec un chercheur autrichien, en travaillant sur des essences très lentes (Pinus cembra) », poursuit Christine Robin. L'idée est d'apporter un plus aux plants par la symbiose mycorhizienne : le champignon aide le plant à s'installer et à se développer dans des conditions difficiles (1). Il apporte des éléments minéraux à la plante et augmente la surface de prospection du sol ; la plante apporte des glucides et des acides aminés au champignon. La pépinière entame donc un partenariat avec l'Inra sur le sujet, notamment en engageant un stagiaire pendant un an. Les résultats sont prometteurs et, en 1988, Bruno Robin, le fils de Max Robin, gérant des sociétés du Groupe Robin, décide de lancer un programme de mycorhization contrôlée, comprenant l'embauche d'une technicienne, Claire Cotton, et d'un responsable de programme, Pierre Cammalletti. « La mycorhization contrôlée, c'est la recherche du bénéfice maximum, précise Christine Robin. Les plantes sont élevées dans un substrat stérile puis inoculées avec un champignon performant. Aujourd'hui, nous sommes la seule pépinière d'Europe à avoir un laboratoire de mycorhization contrôlée intégré. Le laboratoire a été construit en 1990-1991 avec un budget initial de 4 millions de francs, et la participation de l'Anvar (2) sous forme d'octroi d'un prêt à taux 0 %.

« Les premières ventes de plants étaient prévues dans un délai de quatre à cinq ans après le début du programme, avec des ventes significatives au bout de dix ans. Les délais ont été un peu plus longs. Les clients n'ont pas systématiquement et immédiatement adhéré à ces nouveaux produits et il a fallu des années de test et d'expérimentation pour parvenir à démontrer l'utilité des plants mycorhizés et les convaincre de les utiliser. » Chaque nouvelle espèce de champignon à l'étude nécessite en effet plusieurs années d'expérimentation – sélection des souches, multiplication, obtention des plants... – avant de pouvoir proposer des plants mycorhizés garantis. Par exemple, la pépinière a mis sept à huit ans avant de réussir à maîtriser la mycorhization contrôlée et reproductible avec Tuber magnatum. Un contrat de recherche avec l'Inra a été signé, comprenant l'embauche par les pépinières Robin d'un ingénieur de recherche qui a travaillé exclusivement sur le projet.

Vingt années d'essais ont permis à l'entreprise de développer une véritable expertise sur la mycorhization. La pépinière a mis au point ses propres « recettes » de fabrication (milieux de culture des champignons, méthode de multiplication...). « Grâce à la norme organisationnelle Iso et aux audits – internes et externes –, nous avons amélioré les process à tous les stades : conception des inoculums au laboratoire, production et validation des plants mycorhizés... », souligne Pierre Cammalletti. Fiches et protocoles d'essai, témoins, analyses de données permettent d'aboutir à la décision de poursuivre ou non les expérimentations sur une souche donnée.

Au laboratoire, la technique est rodée : prélèvement de carpophore dans la nature, isolement pour obtenir une souche pure, mise en culture en boîte de Petri ; multiplication en milieu liquide ; récolte et filtration ; inclusion dans des billes de polymère qui peuvent être conservées au froid pendant plusieurs mois. « Nous fabriquons nos inoculums en conditions stériles », précise Claire Cotton. Côté production, « nous avons travaillé dans des serres entières d'essai sur tous les paramètres de culture : substrat, irrigation, fertilisation..., illustre Pierre Cammalletti. Les champignons mycorhiziens poussent lentement ; il faut respecter le rythme du développement racinaire en parallèle avec le mycorhizien, et donc ne pas chercher à accélérer la croissance racinaire : ne pas trop fertiliser (limiter le phosphore), ne pas trop arroser... »

« Claire Cotton et Pierre Cammalletti font aujourd'hui de la formation dans les écoles de forestiers, souligne Christine Robin. Nous avons participé à plusieurs programmes européens, par exemple Mycomed pour le reboisement en zone méditerranéenne, ou encore Mycorem pour la phytoremédiation : nous apportons notre savoir-faire et en retour nous avançons constamment dans le domaine de la mycorhization. Nous avons établi un contrat-cadre avec l'Inra et exploitons des contrats de licence. Notre collaboration avec l'institut dès l'origine du programme offrait des bénéfices mutuels : d'un côté, l'Inra disposait d'une pépinière pour réaliser des essais à grande échelle ; de l'autre, nos deux techniciens se sont formés à travers l'Inra. »

« Le godet mycorhizé de façon contrôlé, c'est une assurance-vie pour les plantes !, affirme Christine Robin. Sur certains chantiers de plantation traditionnelle en racines nues, les pertes peuvent se chiffrer entre 50 et 100 % selon les conditions climatiques (par exemple, lors de la canicule de ce printemps). Les plants mycorhizés poussent plus vite, ils résistent mieux aux maladies, à la sécheresse et à la concurrence des mauvaises herbes. Même si les plants en godet mycorhizés sont 15 à 20 % plus chers que les mêmes plants non mycorhizés, le gestionnaire s'y retrouve financièrement, car le taux de reprise est supérieur et il réalise des économies d'intervention : pas besoin de fertilisant ni de désherbant, pas d'arrosage. » La pépinière valide statistiquement la mycorhization de ses plants forestiers : sur un échantillon de 50 plants, 80 % portent une « bonne » mycorhization, c'est-à-dire une distribution uniforme du niveau de mycorhization. L'association symbiotique offre un intérêt maximal les trois à quatre premières années, puis le plant peut éventuellement être recolonisé par des mycorhizes autochtones.

« Comme tous nos plants sont en godets, la plantation peut s'effectuer toute l'année. Mais la meilleure période reste le début de l'automne, fin septembre-début octobre, même s'il fait encore un peu sec. Ça laisse le temps à la plante de développer ses racines et au réseau mycorhizien de se mettre en place. Si le printemps suivant est sec, le plant survivra sans problème. »

La première démarche de la pépinière consiste à proposer les essences adaptées à la zone de plantation, puis à réaliser une analyse de sol pour choisir le type de champignon. En effet, chacun a ses spécificités. « Par exemple, le pin Douglas sera adapté aux terrains acides ; il ne sera jamais mycorhizé avec Hebeloma crustuliniforme qui préfère les terrains calcaires », illustre Christine Robin.

« À ce jour, des chantiers d'envergure sont réalisés en totalité avec des plants mycorhizés contrôlés Haute performance®, avec une réussite qui dépasse souvent les espérances de nos clients. » Un succès d'autant plus prometteur qu'à partir de 2030, la France va manquer de bois. « Il faut planter de nouveau et en forte densité », souligne Christine Robin.

Valérie Vidril

(1) Voir le Lien horticole n° 770 du 12 octobre 2011, « Les mycorhizes : un réseau à la mode végétale », pp. 10 et 11. (2) Agence nationale de valorisation de la recherche, aujourd'hui remplacée par Oséo.

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