“Pompe à chaleur, éclairage... : j'ai dû investir pour tenir”
Marc Giovinazzo, rosiériste varois, a investi en 2008 dans une pompe à chaleur eau-eau pour perpétuer sa production. Avec l'éclairage photosynthétique installé fin 2011, la conduite culturale s'avère encore moins énergivore, mais le contexte actuel incite malgré tout le producteur à se diversifier.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
Marc Giovinazzo, 33 ans, a créé son entreprise en nom propre en 2001. Installé à Pignans dans le Var, issu d'une famille investie dans l'horticulture depuis trois générations, il produit des roses pour la Sica Marché aux fleurs et des jeunes plants de rosiers (il est représentant Kordes pour la France) sur 5 760 m² de serres chauffées. Ce premier investissement, réalisé dès l'installation, doit lui permettre de poursuivre une production largement concurrencée. Les deux multichapelles plastique double paroi gonflable Richel sont équipées d'écrans thermiques dans certains compartiments, d'un ordinateur climatique, d'un chauffage localisé haute température (65 °C). Malgré cet équipement moderne, la hausse du prix de l'énergie devient rapidement insupportable et incite le jeune homme à investir dans un nouveau système de chauffage pour réduire sa facture énergétique. Il se lance en 2008 dans le projet d'installation d'une pompe à chaleur (Pac) qui utilise, pour chauffer les serres, les calories de l'eau de deux bassins de 27 000 m3. « Pompe à chaleur, éclairage... : j'ai dû investir pour tenir », souligne Marc Giovinazzo.
Différents facteurs orientent le choix vers l'installation d'une Pac eau/eau : le Béal – canal Jean-Natte – qui traverse la propriété constitue une ressource en eau régulière et disponible de 400 m3/h à une température généralement comprise entre 12 et 14 °C (en revanche, il n'y a pas assez d'eau en sous-sol pour réaliser un forage). Par ailleurs, le fabricant Ochsner propose à l'époque une technologie Pac permettant l'obtention d'une eau à plus de 60 °C avec un COP (1) de bon niveau et rendant possible l'utilisation du réseau de canalisations haute température en place. Une Pac conventionnelle (fournissant de l'eau à 30-40 °C) aurait obligé l'horticulteur à doubler son réseau de tuyaux. Cette technologie rend aussi possible le stockage d'eau chaude, ce qui permet de réduire la puissance de la Pac – et donc les coûts d'abonnement électrique –, tout en découplant les périodes de fonctionnement et de besoins. En outre, l'exploitation dispose d'un accès possible à un réseau électrique moyenne tension. Ce dernier critère est important, car même si le réseau électrique n'avait pas été suffisant pour supporter la puissance électrique de la Pac, elle n'aurait pas eu à supporter le surcoût d'installation engendré par la connexion au réseau 20 kV d'EDF.
Pour accompagner son projet pilote, intégré aux travaux de la thématique « Énergie » du SPL (Système productif local) horticole Var Méditerranée, Marc Giovinazzo s'est appuyé sur l'expertise du réseau de partenaires animé par le Syndicat horticole du Var, et notamment le bureau d'études ENR Concept (étude énergétique) et la société autrichienne Ochsner (pompe à chaleur). L'innovation du projet réside en particulier dans l'adaptation de la Pac à de hautes températures et la valorisation des bassins d'eau aménagés (devenus source d'approvisionnement en eau pour la lutte contre les incendies). L'horticulteur a de gros besoins hivernaux pour maintenir une température de 17-18 °C (minimum de 15 °C) la nuit dans ses serres. ENR Concept s'est basé sur les courbes de consommation écrêtées (sans tenir compte des pics de consommation) pour dimensionner la Pac. L'installation fournit ainsi 500 kWth (kilowatts thermiques) pour une puissance consommée électrique de 137,5 kWe (2), soit un COE (3) de 3,6 pour une eau fournie à 50 °C. La chaudière à gaz propane sert d'appoint en périodes de pointe, et en secours. L'écrêtage permet de réduire la puissance de la Pac nécessaire et de rester en tarif jaune (compteur de 240 kVA). Un dimensionnement plus important aurait nécessité de passer en tarif vert avec obligation d'installer un transformateur privatif, « soit 100 000 euros de frais d'installation supplémentaires ». La majorité des besoins de chauffage étant assurés par une eau à 50 °C (au lieu de 65 °C en période de pointe), le COP de la Pac se rapproche de 5. Enfin, plus la Pac est grande, plus le besoin en eau est important, avec un volume de bassin en conséquence.
Marc Giovinazzo a opté pour un contrat EDF tarif jaune option EJP (effacement des jours de pointe). La facture comporte une prime fixe annuelle (environ 820 €/mois) et le coût des kWh consommés. Dans cette option, l'hiver est divisé en heures d'hiver et en heures de pointe mobiles caractérisées par un prix élevé du kWh sur des plages de 18 heures consécutives (de 7 heures du matin à 1 heure le lendemain matin) pendant 22 jours d'hiver (période du 1er novembre au 31 mars) : 26 c€ HT/kWh au lieu de 7 c€ HT/kWh (tarif en juillet 2011). Durant ces heures de pointe, Marc Giovinazzo se chauffe uniquement au gaz et arrête l'éclairage photosynthétique. Les simulations réalisées par le bureau d'études ENR Concept ont montré que l'application d'un tarif jaune option de base donnait un coût électrique supérieur de 25 % par rapport à celui obtenu en optant pour l'option EJP.
Le Béal assure le remplissage de deux bassins en circuit fermé. Le bureau d'études a dimensionné les bassins en fonction des besoins de températures des serres, de la température de l'eau des bassins, du débit de la pompe... Dans les bassins, l'eau ne descend pas en dessous de 9 °C. Un premier plan d'eau de 15 000 m3 sert de « réserve géothermique ». L'eau est pompée à 12 m de profondeur. Au moment de la première mise en service, Marc Giovinazzo avait mis en place dans ce grand bassin une crépine conventionnelle, qui provoquait des turbulences à l'aspiration et mélangeait l'eau de la base (plus chaude, car la terre conserve la chaleur) et celle de surface (plus froide). Il a installé à la place un tube en T de 8 m de large et 200 mm de diamètre pour conserver le gradient vertical de température. Une pompe de 100 m3/h alimente la Pac en eau après son passage par une station de filtration (5 filtres à sable à contre-lavage automatique). Une cuve permet de stocker 100 m3 d'eau chaude à 50-65 °C. Un second plan d'eau de 12 000 m3 (9 m de profondeur) accueille à sa surface le rejet des eaux refroidies (environ 3 °C de moins) issues de la Pac. L'eau du fond de ce deuxième bassin est renvoyée à la surface du premier bassin par un tuyau perforé.
Depuis janvier 2012, Marc Giovinazzo éclaire ses serres (hormis l'espace vitrine) pendant la nuit avec des lampes à sodium. Cette pratique a entraîné une évolution dans sa conduite de chauffage. « L'éclairage assure à lui seul une température de 6-7 °C », assure le producteur. Ainsi, une température de 35-40 °C dans les canalisations suffit désormais (au lieu de 50 °C). En 2008, la Pac était déclenchée dès que le déstockage thermique de la cuve atteignait 20 % (20 % de la cuve ayant perdu 10 °C). Pour maintenir la consigne de 17 °C la nuit en hiver avec le réseau haute température, la pompe à chaleur tournait la nuit en complément du ballon de stockage, ainsi que la journée pour stocker l'eau chaude. L'horticulteur l'utilisait de septembre-octobre jusqu'à la fête des Mères. Aujourd'hui, avec l'éclairage, la Pac fonctionne plutôt de novembre-décembre jusqu'en mars. L'éclairage fonctionne uniquement de 23 h-minuit à 8 h 30-9 h du matin. La Pac prend ensuite le relais ; elle stocke de l'eau chaude jusqu'à 15-16 h ; si besoin, le ballon apporte de l'eau chaude aux serres dans la journée. En fin d'après-midi, Marc Giovinazzo laisse la température baisser à 14 °C jusqu'à 23 h. Durant la nuit, le déstockage de la chaleur emmagasinée pendant la journée et la chaleur apportée par l'éclairage maintiennent une température de 17-18 °C jusqu'au lever du soleil. « C'est important d'avoir une bonne température à ce moment pour que la plante profite bien du soleil. » L'éclairage de 6 000 lux/m² entraîne une augmentation de la consommation électrique, « mais il permet d'améliorer la qualité de la plante (tiges plus vigoureuses), d'augmenter la température de 7 °C et d'améliorer le COP de la Pac ».
La facture de chauffage annuelle est passée de plus de 100 000 € HT (gaz) en 2008, à 40 000 € HT (30 000 € d'électricité et 10 000 € de gaz) en 2011, frais auxquels il faut ajouter l'amortissement annuel. Pour l'hiver 2011-2012, la facture sera augmentée du surcoût de consommation électrique dû à l'éclairage, estimé en moyenne à 10 000 € HT. Le temps de retour devrait être de l'ordre de 6-7 ans (durée d'emprunt de 7 ans). Marc Giovinazzo a investi 350 000 € HT dans l'installation (pompe à chaleur, citerne, canalisations...), dont 40 % subventionnés par le conseil général. La Pac et les bassins représentent 250 000 à 270 000 € HT. L'horticulteur a bénéficié de subventions PVE (Plan végétal pour l'environnement) pour le ballon de stockage et l'ordinateur climatique. Avant 2008, la chaudière GPL de 1 600 kWth consommait 130 t de propane/an. Or le prix de la tonne de propane a été multiplié par six entre 2001 et 2011 (4). « En 2008, avec le premier choc énergétique, mon budget chauffage a dépassé 100 000 € HT/an. Avec un chiffre d'affaires de 200 000 €, ce n'était plus viable ! » Avec la Pac, la consommation de gaz est passée à environ 10 t de gaz sur les 22 jours de pointe. L'économie annuelle de propane se traduit d'un point de vue environnemental par une économie de CO2 non négligeable.
L'installation de Marc Giovinazzo n'est pas exempte de contraintes. Ainsi, la température de l'eau des bassins fluctue malgré tout au cours des saisons, ce qui affecte le COP du système. Le tarif jaune EJP (qui n'est plus disponible pour les nouvelles souscriptions) oblige à recourir à la chaudière gaz sur 22 jours. Pour la maintenance et l'entretien, le spécialiste Ochsner le plus proche se situe à Lyon. Par ailleurs, l'horticulteur n'est pas vraiment satisfait du service après-vente du fabricant. Après les 5 ans de garantie, il lui faudra compter 1 500 à 2 000 €/an de frais de maintenance.
Valérie Vidril
(1) Le Coefficient de performance est le rapport entre la puissance utile et la puissance consommée. (2) Valeur incluant la puissance de la pompe de forage (30 kWe) et celle de la pompe de circulation. (3) Le Coefficient d'exploitation est le rapport entre l'énergie thermique fournie par l'installation et l'ensemble des consommations électriques (moteur de la Pac, mais aussi moteurs électriques annexes). (4) En 2001, les prix HT atteignaient en moyenne 150 €/t, 700 € en 2008 et aujourd'hui plus de 1 000 €/t.
Pour accéder à l'ensembles nos offres :