“Le carnet d'intentions paysagères, outil de transmission”
Chef d'équipe jardinier à la ville de Paris, Arnaud Duplat utilise le carnet d'intentions paysagères pour entretenir L'enclos des oiseaux, dans le 20e arrondissement. Un outil de transition entre création et entretien, qui lui permet de s'approprier ce jardin dédié à la biodiversité ordinaire et de respecter l'esprit du concepteur.
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L'enclos des oiseaux se situe passage Stendhal dans le 20e arrondissement de Paris. C'est un petit jardin de 390 m2 en surplomb de la rue des Pyrénées dont il est séparé par un talus abrupt. Cet espace a été aménagé sur une ancienne friche, installée sur des carrières et restée à l'abandon durant une vingtaine d'années. Le projet d'agencement, validé par les habitants dans le cadre d'une consultation, a été envisagé pour faire connaître et préserver la biodiversité ordinaire, particulièrement riche dans ce lieu enchâssé au coeur d'un îlot. Dans l'objectif de bien comprendre et de respecter au mieux les enjeux définis par le concepteur, Arnaud Duplat, responsable de l'équipe de jardiniers qui a en charge la gestion de cet espace parisien, a opté pour « le carnet d'intentions paysagères, véritable outil de transmission ».
« Ce document écrit a été mis en place pour faciliter la transition entre la création et l'entretien », explique Laurence Lejeune, chef du service du paysage et de l'aménagement à la direction des espaces verts et de l'environnement de Paris. « La transmission des éléments constituant le ou les partis pris du concepteur vers le gestionnaire est la garantie que les actions d'entretien sculptant le paysage seront bien menées. Les intentions paysagères initiales ont en effet parfois du mal à être conservées : les végétaux sont amenés à se développer et les compositions n'évoluent pas toujours conformément à ce qui était prévu ; les jardiniers chargés de l'entretien changent assez régulièrement d'affectation et ceux qui arrivent ne disposent pas toujours de la mémoire du lieu ; et les usages de certains espaces sont amenés à se modifier au fil du temps. Le carnet d'intentions paysagères permet donc de formaliser les grandes lignes de la composition paysagère du projet et les recommandations permettant de mettre en place une gestion appropriée pour en conserver l'esprit. » L'élaboration et la présentation de cet outil sont aussi l'occasion de formaliser des temps d'échanges entre paysagistes concepteurs et gestionnaires. Les premiers carnets ont été réalisés à partir de 2007 de façon systématique pour tous les projets de conception élaborés en interne et le plus souvent possible pour les projets réalisés avec une maîtrise d'oeuvre externe. Pour certains parcs plus anciens, ce document a été produit a posteriori. « Les démarches d'écoconception, le plan de gestion écologique et durable des espaces, et le carnet d'intentions paysagères permettent d'aborder le cycle de vie d'un jardin avec une approche globale et cohérente, et de travailler plus efficacement à un deuxième échelon, celui du territoire de la ville, dans le cadre notamment du Plan biodiversité et de la Trame verte et bleue », confirme Laurence Lejeune.
« L'enclos des oiseaux est un réservoir de biodiversité ordinaire », poursuit Arnaud Duplat. « Le carnet d'intentions paysagères présenté par le concepteur a permis à l'équipe de jardiniers de comprendre les enjeux et les ambiances recherchées. Il constitue une aide précieuse pour réparer ou remplacer certains éléments, par exemple le mobilier urbain. Ainsi, à l'origine, les bancs étaient en bois lasuré. Mais au fil du temps, ils ont été recouverts à maintes reprises de graffitis, difficiles à enlever. Comme le carnet suggérait l'utilisation de coloris neutres proches de ceux trouvés dans la nature, la lasure a été remplacée par une peinture couvrante de couleur rouille, plus facile à entretenir. » Autre cas de figure : les allées, prévues dans un mélange de terre et de sable, se sont révélées impraticables en hiver. Pour remédier au problème, le maître d'oeuvre a choisi une surcouche qui ne remet pas en question l'esthétique du jardin, en l'occurrence de la pouzzolane.
Pour la gestion et le renouvellement de la palette végétale, le carnet constitue une base solide sur laquelle s'appuyer. L'outil est précis mais pas rigide ; il laisse une part de liberté. Par exemple, il fixe l'idée d'une prairie sèche avec une liste de végétaux possibles et suggère un mode de gestion en rapport avec la découverte de la biodiversité ordinaire de cet espace, qui doit favoriser la diversité végétale et animale. « Le cadre est assez large pour que les jardiniers restent libres d'adapter l'entretien en fonction de leur sensibilité, du moment que l'esprit est conservé », poursuit Arnaud Duplat. « Récemment, nous avons dû faire face à des passages “sauvages”" dans la prairie. Pour savoir comment agir, nous avons pris connaissance des recommandations du paysagiste : “Dans le cas où l'on observerait des dérives, il est conseillé de renforcer la signalétique précisant le désir de voir se développer une flore indigène ; de mettre en place éventuellement une protection légère en bordure de l'allée côté prairie (piquets et fil de fer).” Pour la plantation des bulbes, les indications étaient les suivantes : « Conquérir les surfaces végétalisées en couvre-sols sous les houppiers des arbres et des arbustes, en bordure des allées, et créer des événements colorés annonceurs du printemps [...], des surfaces denses de bulbes variés, narcisses, Allium, Corydalis, Ornithogalum... Les jardiniers ont choisi de remplacer les Corydalis introuvables par des perce-neige répondant aux mêmes objectifs. »
Le carnet d'intentions paysagères offre, en outre, la possibilité d'alimenter facilement le classeur de bord du jardin, composé du carnet, de l'historique, du schéma de plantation notamment. Ces documents permettent l'élaboration du plan de gestion différenciée, sur lequel l'équipe travaille strate par strate. Les objectifs et principes d'aménagement décrits dans le carnet d'intentions paysagères constituent également une source d'informations et d'arguments intéressants pour réaliser les panneaux de communication destinés au grand public. Des données qui servent aussi au personnel chargé de la surveillance du lieu, amené à dialoguer avec les usagers.
« Le fait de connaître les intentions du paysagiste laisse en réalité plus de liberté aux gestionnaires. Il est plus aisé d'appréhender d'un côté ce qu'il ne faut pas modifier, et de l'autre, les éléments sur lesquels il est possible de travailler plus librement. Les jardiniers ont pris cette transmission de savoir pour une marque de confiance de la part du concepteur. Il leur donne les clefs de compréhension de son projet. Charge à eux de le porter à maturité et de le pérenniser en y apportant tout leur savoir-faire », insiste Arnaud Duplat.
Yaël Haddad
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