“Une technologie innovante pour limiter l'empreinte carbone !”
Jean-Philippe Martinet est cogérant des établissements Gonthier, à Albertville (73). Avec son système de chauffage par hypocauste, l'entreprise prouve qu'il est possible de réduire l'empreinte carbone des produits horticoles et de montrer un autre visage de l'horticulture, respectant mieux l'environnement et plus proche de l'image symbole que les produits végétaux se doivent de représenter.
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Situé à une altitude de 350 m, dans une vallée alpine, Albertville subit l'influence du climat montagnard. Avec une commercialisation essentiellement locale, les établissements Gonthier ont choisi de mettre leur production en adéquation avec ces conditions climatiques particulières en développant une gamme de plantes adaptées et en adoptant un planning de production tenant compte des dates de plantation optimum en extérieur.
En même temps, l'entreprise cherche à optimiser ses besoins en chauffage en limitant l'occupation des serres en période hivernale, et par des techniques culturales privilégiant les basses températures. Le chauffage restant un poste économique important... C'est pourquoi, il y a quelques années, sur un projet de construction d'une nouvelle serre de 2 300 m², Jean-Philippe Martinet, cogérant de l'entreprise, s'est intéressé à un système de chauffage un peu particulier issu de l'ancestral principe de l'hypocauste.
Au niveau des serres horticoles, ce système a fait l'objet d'expérimentations en Suisse dans le cadre du projet Geoser (université de Genève), à Conthey (vs) et Wädenswil (zh). Les résultats de ces expérimentations sont publiés dans la thèse rédigée par Pierre Hollmuller : « Utilisation des échangeurs air/sol pour le chauffage et le rafraîchissement des bâtiments ». « La serre est un non-sens thermique, particulièrement aux intersaisons où il faut aérer la journée pour évacuer l'excès de chaleur alors qu'il faut chauffer la nuit pour le besoin des plantes », explique Jean-Philippe Martinet. « L'hypocauste offre une technologie innovante pour limiter l'empreinte carbone. » Il s'agit d'une solution pour répondre au gaspillage énergétique en récupérant le jour les calories excédentaires pour les restituer la nuit via une zone tampon constituée par le sol, réduisant ainsi fortement les amplitudes de température diurnes et nocturnes. En pratique, l'air chaud est aspiré au faîte de la toiture, puis envoyé dans un réseau de tuyaux enfouis dans le sol. L'énergie thermique emmagasinée dans le sol est restituée la nuit, soit par conduction directe, soit par convection en utilisant le réseau de canalisations.
La serre pilote choisie aux Ets Gonthier est un abri double paroi gonflable classique, divisée en quatre chapelles avec cultures au sol. « Notre système de serre hypocauste a été dimensionné par l'INES (*), avec le concours amical de Pierre Hollmuller », précise Jean-Philippe Martinet. Les rôles ont ensuite été répartis : l'Astredhor avec son pôle régional, la station d'expérimentation Ratho (Brindas, 69) pour la partie agronomique, et le CEA-INES avec Benjamin Boillot et Fabrice Claudon pour la physique thermique et la constitution du protocole expérimental. Le département de la Savoie, la région Rhône-Alpes, le ministère de l'Agriculture (FranceAgri-Mer) ont soutenu cette innovation de rupture. Les physiciens de l'INES ont dimensionné les réseaux d'échange pour obtenir le meilleur rendement avec l'objectif de parvenir à l'autonomie thermique. La partie visible de l'installation se compose de huit colonnes d'aspiration, soit deux par chapelles (une à chaque extrémité) équipées chacune d'un ventilateur d'une puissance de 900 watts. L'air chaud est soufflé dans le réseau souterrain constitué d'un collecteur de grande section puis réparti dans des canalisations de section plus réduites de 30 m de longueur, avant de ressortir au centre des chapelles dans un large regard maçonné. Au total, 3 200 m de canalisations ont été enfouies à 60 cm de profondeur, puis le sol a été bitumé. L'installation occupe un faible encombrement, ne crée pas d'obstacle au travail, seuls sont visibles les colonnes d'aspiration et les regards de refoulement.
La serre a été mise en service à l'automne 2008. Ce recul de quatre hivers permet déjà de tirer quelques enseignements. Au niveau purement technique, tout ne peut pas être communiqué, la diffusion des données faisant partie de réserves de propriété intellectuelles. Mais on peut tout de même dire que la performance globale est conforme aux prévisions de l'institut. Sans autre forme de chauffage, la serre reste hors gel. Elle l'est restée même pendant l'épisode glacial de février dernier avec une température extérieure de -12 °C. À partir de mi-février, la gamme de plantes annuelles peut y être cultivée. Les résultats démontrent des effets thermiques journaliers, mais également saisonniers entre l'été et l'hiver. « Il serait possible d'améliorer les performances en augmentant l'isolation par rapport à l'extérieur, précise Jean-Philippe Martinet. Au niveau des parois de l'abri, il semble toutefois difficile d'améliorer l'isolation sans diminuer la luminosité. Pour les journées les plus froides, la solution passerait par la mise en place d'un écran thermique à un mètre au-dessus du sol, la nuit, pour que la chaleur restituée par l'hypocauste reste au niveau des plantes. Nous pensons, au sein du comité scientifique, que cette solution garantirait un minimum de 5 °C toute l'année. Ce qui permettrait d'envisager d'autres types de cultures sous cette serre (aujourd'hui jusqu'à mi-février on ne peut y cultiver qu'une gamme de plantes en hors gel comme les bisannuelles, les vivaces) et de faire de l'hivernage de pépinière... » La pose de l'écran thermique aurait dû être pensée dès le départ car la présence du chariot d'irrigation suspendu la rend plus difficile.
Sans autre mode de chauffage, l'hypocauste ne peut pas être géré comme une serre classique où l'abri s'adapte aux besoins des plantes. Ici, il s'agit de conformer la gamme de produit et le mode de culture aux caractéristiques climatiques de l'abri en privilégiant par exemple les itinéraires techniques à froid. Les essais des stations Astredhor montrent qu'il existe de larges possibilités dans ce domaine.
Jean-Philippe Martinet ne voit pas ce procédé innovant comme un simple mode de chauffage : « La réflexion autour d'hypocauste est un projet charnière dans la vie de notre entreprise. Comme la PBI mise en place en 2006, ce système rustique et adapté aux petites entreprises représente un pas de plus pour promouvoir une image différente des produits horticoles. Il pose la question de l'utilisation de l'énergie en horticulture, de l'empreinte carbone des produits horticoles. Il débouche sur une réflexion globale sur nos process de production et sur la sensibilité des consommateurs à l'origine des plantes.
Ce concept de serre “passive” vise d'abord à faire progresser l'entreprise et à faire passer un message auprès des clients : celui d'une horticulture soucieuse de limiter les impacts sur l'environnement, qui ne propose pas un banal produit de consommation mais un produit pensé et cultivé selon l'usage et le lieu vers lesquels il est destiné. Quelle plante ? Pour quel usage ? Pour quelle saison ? L'horticulture ne valorise pas suffisamment ces notions. On oublie trop souvent la force de l'image véhiculée par les végétaux d'ornement et nous devons avant tout cultiver un produit symbole plus qu'un consommable. » Cette gestion énergétique dépasse largement les frontières de l'horticulture. Sous l'angle du principe hypocauste, les serres offrent un énorme potentiel pour capter l'énergie solaire. Les technologies peuvent intéresser le secteur de la construction individuelle ou collective...
Claude Thiery
(*) Institut national de l'énergie solaire. Basé à Chambéry, il s'agit d'un conglomérat de plusieurs entités de recherche : CEA (Commissariat à l'énergie atomique), CNRS (Centre national de la recherche scientifique), Université de Savoie.
L'air chaud est aspiré au faîte de la toiture puis envoyé dans un réseau de tuyaux enfouis dans le sol.
L'installation occupe un faible encombrement, ne crée pas d'obstacle au travail. Seuls sont visibles les colonnes d'aspiration et les regards de refoulement.
L'air refroidi ressort au centre des chapelles dans un large regard maçonné.
La présence du chariot d'irrigation suspendu rend aujourd'hui plus difficile la pose d'un écran thermique.
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