“J'ai découvert l'art de planter et d'agencer en masse !”

En 2001, Anthony Paul crée son premier jardin en France sur la commune du Barroux (84) pour un client anglais. Par l'intermédiaire de l'entreprise de maçonnerie chargée de la rénovation du bâtiment, Bruno Collado rencontre le paysagiste, alors à la recherche d'une entreprise pour la réalisation de toute la partie végétalisation. « Le contact s'est rapidement établi avec Anthony Paul qui, en grand spécialiste des plantes, a apprécié mon intérêt pour les végétaux, et a même été surpris de la diversité variétale rencontrée sur mes créations et particulièrement au sein de mon propre jardin, diversité dont il s'inspirera par la suite », explique le chef d'entreprise français. « Ma connaissance de la langue anglaise a été un atout important pour nos échanges. Anthony Paul restait toutefois prudent et attendait d'être convaincu par notre travail. Au début de notre collaboration sur le jardin du Barroux, je m'occupais uniquement de maintenance et de quelques transplantations de gros sujets, puis, avec mon équipe, nous avons pris en charge une grande partie des plantations. »

Le jardin du Barroux, c'est 7 000 m² d'aménagements extérieurs : terrasses, murets, bassins, fontaines, pratiquement pas de gazon, mais de grandes surfaces végétalisées, en arbustes et prairies essentiellement. Anthony Paul a une grande connaissance des plantes du monde entier, mais n'avait pas, au départ, de données précises sur la région de Carpentras. Pour les premières installations, les végétaux ont été choisis aux pépinières de la Foux, dans le Var. La commune du Barroux, située au pied du mont Ventoux, subit des hivers sensiblement moins doux que la Côte-d'Azur. Aussi, les premiers froids ont causé la perte de nombreuses espèces de climat de l'oranger, ce qui a contraint à reprendre des zones entières de végétaux gelés. C'est ici que l'expérience de Bruno Collado a été essentielle pour le paysagiste anglais. « Mes connaissances en termes de rusticité ou d'adaptation au sol m'ont aidé à conseiller des plantes locales comme Coronilla glauca, Juniperus phoenicia, Cistus albidus, ou Salvia grahami, multipliées dans la région et plus endurantes. »

Plusieurs milliers de végétaux de type méditerranéen ont été mis en place dans ce lieu : lavandes, romarins, cistes, sauges, grenadiers, figuiers, buis, iris, coronilles, Othonna, Phlomis, buplèvres, santolines, céanothes, Feijoa, férules, arbousiers, oliviers... « C'est intéressant de voir comment Anthony Paul utilise les plantes : de grandes surfaces avec seulement quelques espèces, voire une seule pour tout un massif, peu de gazon, le jeu des matériaux bois et pierres, les semis de fleurs sauvages, l'utilisation des topiaires en masse plutôt qu'en ligne, les végétaux taillés en boule, en tables basses.... Avec lui, j'ai découvert l'art de planter en masse, de créer des groupes de quinze à vingt plantes minimum, - jusqu'à plusieurs centaines pour les lavandes -, et comment agencer, marier, répéter ces différents groupes pour en faire un ensemble harmonieux et proportionné par rapport à la globalité du massif et aux autres parties du jardin. Il travaille essentiellement au 'feeling', du choix des plantes qu'il repère en visitant des pépinières, ou plus simplement dans les collines aux alentours, jusqu'à l'agencement sur le terrain. Il aime rappeler que le plus simple offre généralement le meilleur effet. Il conseille d'abandonner nos habitudes françaises de plantation à espaces réguliers, en quinconce ou ligne droite, et de placer de façon aléatoire afin que l'organisation d'un espace paraisse plus naturelle. En aménagement, il est toujours présent pour participer avec nous aux plantations ou superviser l'ensemble, retirer une ou plusieurs plantes d'un côté, en ajouter d'un autre, harmoniser les formes et l'équilibre entre les différentes masses. Derrière cette manière de travailler, il y a une exigence très poussée du détail que je n'avais jamais rencontrée. On rejoint ce pour quoi on a choisi cette profession, une recherche de la beauté. C'est nécessaire de ne pas perdre cette philosophie du beau, que j'oppose à celle du “propre”, ce qu'on nous demande toute l'année sur les chantiers d'entretien. La motivation est plus facile dans des jardins de caractère parce que l'on doit toujours aller dans le sens de l'amélioration », poursuit Bruno Collado.

Douze ans après sa conception, le jardin ne cesse d'évoluer. Chaque année, de nouvelles créations viennent l'enrichir : sculptures, luminaires, pont en bois, topiaires, renouvellement de massifs... Si Anthony Paul reste seul maître à bord, il est très ouvert aux idées. Le jardin du Barroux a été lauréat du plus beau jardin privé du prix international Torsanlorenzo 2009. À travers ce prix décerné à un architecte paysagiste, ce sont également les entreprises qui ont participé à la réalisation du lieu qui sont valorisées (*).

Financièrement, outre l'importance des budgets de départ consacrés à l'aménagement, la maintenance représente un attrait supplémentaire pour une entreprise. Une équipe est présente chaque semaine pour assurer les travaux d'entretien, sans compter les interventions ponctuelles. Cela permet de voir évoluer l'espace et d'en tirer les enseignements : « Avec le temps, on reconsidère l'emploi des plantes méditerranéennes peu pérennes. L'an passé, nous avons replanté 1 200 lavandes, car celles de dix ans dépérissaient. On ne peut donc pas baser la stratégie d'un jardin uniquement sur l'emploi de couvre-sols méditerranéens. Il faut continuer à utiliser une bonne base de plantes pérennes. »

L'aménagement du jardin du Barroux a marqué une étape importante de la vie de l'entreprise de Bruno Collado et s'inscrit comme une référence en termes de savoir-faire. La collaboration avec le paysagiste anglais s'est poursuivie sur trois autres projets, dont deux dans les Alpes-Maritimes, à deux cent cinquante kilomètres de Carpentras. Le premier a été réalisé à Grasse (06) sur 5 000 m² de terrasses avec des oliviers centenaires et des végétaux méditerranéens de climat de l'oranger. Le second à Antibes (06), sur 1 000 m², avec la création d'un jardin de plantes succulentes. Si ces projets sont toujours aussi enrichissants d'un point de vue technicité et découverte de nouvelles gammes de végétaux, il faut rester très vigilant au niveau financier. Les déplacements coûtent cher à l'entreprise (transport, hébergement), il faut se rendre sur place au préalable pour planifier les travaux, les relations avec les entreprises, les approvisionnements, les locations de matériel, les accès au chantier. Mais seule une partie de ces coûts peut être répercutée sur le montant facturé au client...

L'influence d'Anthony Paul se reflète aujourd'hui dans les créations de Bruno Collado. Il avoue ne plus utiliser les végétaux de la même façon et avoir recours à des massifs plus sobres, loin de l'esprit mixed border, et à une palette végétale restreinte s'inspirant des paysages naturels ou agricoles environnants. Âgé de 60 ans, il cherche un repreneur qu'il souhaite accompagner durant quelques mois, le temps de transmettre sa motivation et sa passion du métier...

Claude Thiery

(*) Le jardin du Barroux avait déjà été décrit en 2004 par Louisa Jones dans son ouvrage Du jardin au paysage, 30 créations contemporaines en Provence.