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“Hydrangea : l'avenir de la sélection variétale passe par la mutualisation”

La sélection variétale est impérative pour booster le marché et pour la survie des producteurs. Il est toutefois de plus en plus difficile de se lancer seul dans les hybridations. Pour les créations dites classiques, les solutions s'appuient sur le travail en interne ou en partenariat, mais pour espérer créer des hybrides interspécifiques, il faut investir collectivement dans la recherche fondamentale. Exemples...

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Intarissable sur l'histoire des Hydrangea et de leurs obtenteurs, Jean Renault a coréalisé un film sur le sujet pour le symposium international en juillet dernier, à Angers. Il aime rappeler que, depuis les années 1700, la France est restée longtemps première pour les obtentions d'hortensias, notamment grâce à Lemoine (Nancy), Moullière (Vendôme), et Cayeux. « Hélas, le peu de moyens existant à l'époque pour conserver et communiquer font que ces obtentions ont en grande partie disparu. Nous ne disposons pas de photos ni d'illustrations », regrette-t-il. « Reste l'espoir d'en retrouver dans un jardin de château ou aux abords d'une église... Cela arrive de temps en temps. » Après une longue période de relâche, les Allemands et les Suisses ont pris le relais. Mais les Français se sont ressaisis. La princesse Sturdza, propriétaire du Jardin du Vasterival, à Sainte-Marguerite-sur-Mer (76), a notamment lancé trois hortensias, dont Hydrangea paniculata Great Star® 'Le Vasterival'. « Des sélections se poursuivent en Bretagne sur H. serrata, une espèce moins facile à commercialiser », poursuit ce passionné.

Pour sa part, Henri Mercier, le P-dg du groupe Sicamus – spécialisé dans l'obtention et la production d'hortensias, à Angers (49) – souligne : « En France, le travail de sélection était, à l'origine, surtout réalisé par des pépiniéristes sur l'hortensia pour l'extérieur. En 1995, Gérard Camus, ancien dirigeant de Sicamus, aujourd'hui à la retraite, avait trouvé (sur le mont Cameroun) la variété Cameroun, un Hydrangea semperflorens (rose ou bleu) remontant tout l'été, qui a ensuite donné un cultivar très précoce, ne gelant pas. En 2005, est sorti également You & Me® (via le diffuseur Globe Planter)... Aujourd'hui, l'hortensia est à la 8e place des ventes de potées fleuries. Il est redevenu à la mode grâce à son caractère décoratif et au travail sur les nouveautés. Mais le marché attend un renouvellement de plus en plus rapide. Le consommateur achète une fleur, un visuel. Notre avenir, voire notre survie, passe donc par les nouveautés. »

Où en est le travail d'obtention en France ? Le symposium 2012 a été l'occasion de rencontres avec quatre entreprises actives dans la sélection variétale, à la fois en interne (seul ou via des partenariats) et en collectif.

Les pépinières Renault, à Gorron (53). Jean Renault, pépiniériste à la retraite, est à la fois collectionneur et obtenteur pour son entreprise, reprise par ses fils. « Ma passion, c'est depuis longtemps l'hybridation et la recherche de nouveautés. J'ai eu la chance de trouver le seul Pyracantha pendula ('Alexander'), mais aussi des potentilles, des kiwis autofertiles... L'hortensia reste toutefois mon coup de coeur. J'ai fait de très nombreux croisements et semis d'Hydrangea paniculata, espèce encore très peu connue il y a quelques années. Là encore, j'ai eu la chance de trouver un sport d'H. paniculata 'Unique', une mutation naturelle plus rose que son parent. » Dix-sept ans plus tard, Jean Renault a obtenu plusieurs H. paniculata arbustifs, à fleurs coniques : Vanille Fraise® 'Renhy' aux camaïeux évoluant du blanc au rose, puis au rouge foncé sur des tiges rouges, médaillé de bronze à Plantarium 2006 et d'or au Salon du végétal, devenu depuis n° 1 mondial dans les H. paniculata roses ; Sundae Fraise® 'Rensun', médaillé d'argent à Plantarium 2010 ; et Diamant Rouge® 'Rendia', blanc et rose virant au rouge framboise puis au rouge lie-de-vin, médaillé d'argent à Plantarium 2011. Ses dernières nouveautés, pour la saison 2012-2013 sont deux blancs : Dentelle de Goron® 'Rencri', blanc nuancé de vert, puis blanc crème, dont la légèreté des panicules plumeux rend hommage aux dentelles d'Alençon de nos grands-mères, et Diamantino® 'Ren 101', vert jaune puis blanc, et légèrement rose à maturité. « Tous sont commercialisés par le diffuseur de licences Sapho, à La Ménitré (49), tout comme les obtentions de Marie-France Doll ou celles de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) associé à Saphinov. J'ai aussi de très nombreux spécimens qui ne seront jamais commercialisés... Parallèlement aux croisements et semis, je maintiens une collection de 1 025 variétés ! »

Chauvin Diffusion, à Montjean-sur-Loire (49). Dirigeant de cette entreprise, Lionel Chauvin confirme que l'hortensia est très demandé, qu'il est même devenu très tendance à l'extérieur. « Pour faire évoluer notre offre, nous travaillons en partenariat avec les Ets Challet-Hérault à Nuaillé (49) et en collectif au sein d'Hydranova. Avec Jean-Pierre Challet, nous cherchons à étendre la diversité variétale au sein de l'espèce Hydrangea macrophylla pour apporter plus de coloris, des fleurs plus attractives, mais aussi pour l'amélioration de la qualité variétale. » En pratique, Challet-Hérault a des croisements en cours, des semis. Chauvin Diffusion assure la multiplication et la distribution exclusive des variétés obtenues. Certaines à port compact, fleurs « boules » et à cultiver sous serre, ont été déposées et protégées : Coquin® rose ou bleu, Libertin® bleu/blanc, Fripon® bleu nuit, Mirage® type “Teller” rose très florifère, ainsi que d'autres à port moyen ou haut et fleurs plates à cultiver à l'extérieur : Lutin® à grosses fleurs roses, Punch Coco® blanc à tige noire... D'autres « surprises » seront présentées cet hiver.

Le groupe Sicamus, à Angers (49). Depuis 2005, il a investi en interne dans un laboratoire de recherche et d'obtention variétale. Actuellement, les sélections se poursuivent sous le contrôle de Christophe Camus, directeur de production. « Pour ce travail sur les nouveautés, nous avons investi 100 000 euros par an sur les cinq premières années, et actuellement nous prévoyons 50 000 euros par an », explique Henri Mercier, son P-dg. Premier résultat concret : la série Rendez-Vous® sortie en magasins pour la fête des Mères 2012 convient à la fois pour l'intérieur et l'extérieur. Robustes, les six cultivars portent des noms évocateurs et offrent des coloris originaux : La Vie en rose®, panaché rose et blanc strié, pointu ; Choco Chic® “Teller”, blanc et tige noire ; Romantique®, blanc vert citronné ; Cocktail®, blanc bordé de rose et frangé ; French Cancan® “Teller” rose, bordé fuchsia ; Élégance® “Teller”, blanc frangé. « Vu le bel accueil lors des tests en magasins, la série va s'enrichir, a priori dès 2013, de trois à quatre cultivars supplémentaires », poursuit Henri Mercier. « Notamment des boules à tige noire (à fleurs bicolores, en rouge et en blanc double). Ou des coloris inversés comme un rouge avec un tout petit liseré noir. Notre objectif est de lancer deux à quatre nouveautés tous les ans, des produits que nous faisons connaître au Salon du végétal, à Angers, et au salon IPM Essen, en Allemagne. Nous avons du potentiel pour au moins cinq à dix ans. »

Hydranova SAS, Sainte-Gemmes-sur-Loire (49). « Notre travail de sélection en interne et la recherche appliquée ne suffisent plus », constate Henri Mercier, P-dg du groupe Sicamus. « Seuls, nous pouvons tenter des hybridations au sein d'une même espèce variétale. Mais pour aller plus loin, trouver des hybrides totalement nouveaux, ce n'est pas possible. Il faut se tourner vers la recherche fondamentale. » C'est pourquoi, en avril 2009, avec sept autres Français, il a créé Hydranova SAS, société de recherche et développement en biotechnologies. Elle comprend André Briant Jeunes Plants, Chauvin, Minier, Sicamus (majoritaires avec 86 % du capital), Boos, Malinge, Nicolandes, Renault (minoritaires avec 14 %). « À court terme, il s'agit de réussir des hybridations interspécifiques, notamment entre H. paniculata, H. macrophylla ou H. quercifolia... », poursuit Henri Mercier, actuel président de la structure. « Pour sortir, par exemple, des H. paniculata bleus, orange, rouges, ou des H. marcrophylla blanc verdâtre, orange à fleur conique... Le rêve, ce serait un hortensia jaune ou orange, ce qui est actuellement impossible via les voies classiques d'hybridation. Nous souhaiterions aussi améliorer le port afin d'obtenir des plantes toujours compactes sans régulateurs de croissance, avec beaucoup de fleurs... Pour cela, il faut des laboratoires, des chercheurs, des calculateurs... C'est un vrai challenge ! »

À moyen terme, il s'agit de décrypter le séquençage de l'ADN et le génome de l'hortensia pour en comprendre le fonctionnement, la diversité dans la palette variétale, les caractères génétiques et les comportements : pourquoi il y a des plantes plus hautes, d'autres qui supportent le soleil et peu d'eau, d'autres le froid... Hydranova SAS, créée au sein de Végépolys, peut lever et mobiliser des subventions et fonds publics, bénéficier du réseau de compétences (chercheurs, Inra ou autres organismes de recherche, Agrocampus, Végépolys Innovations...). Lionel Chauvin (Chauvin Diffusion et partenaire d'Hydranova) confirme : « Ce qui nous intéresse, avec la recherche fondamentale, c'est le potentiel de diversité génétique que peuvent apporter les hybrides interspécifiques. Nous n'en sommes qu'aux premiers stades du projet, mais il y a déjà un pool variétal et de premières hybridations. » Au total, Hydranova représente 600 000 euros de budget global sur sept ans, la moitié étant apportée par les sept partenaires. La société a embauché un chercheur pour conduire son programme.

Hortensias France Production, à Soucelles (49). Gérée par Kees Eveleens et Yves Albert, l'entreprise multiplie et produit des hortensias. Pour les sélections variétales, elle fait appel à sa société soeur, Horteve Breeding, installée aux Pays-Bas. Depuis 1993, elle crée chaque année une à deux nouvelles variétés d'hortensia en pot pour fleurs coupées ou pour le jardin. La recherche est plutôt axée sur la baisse des produits phytosanitaires et des nanifiants, sur la rigidité de la plante, la tenue des feuilles... « Notre gamme en H. paniculata 'Magical' en est l'exemple. Nous continuons la recherche sur la baisse des intrants, mais depuis quelques années nous axons également notre travail sur les formes et les couleurs », explique Kees Eveleens. La dernière création, 'Anda', offre une couleur très intense, en bleu ou en rose, sur une tige rigide. Elle sera disponible en petites quantités début janvier 2013. Par ailleurs, pour avancer sur la levée de dormance et mieux maîtriser le cycle de l'hortensia, Yves Albert explique qu'avec quatre producteurs français d'hortensias, la société s'est rapprochée du cluster Végépolys, et de chercheurs de l'Inra et de l'Institut national d'horticulture (INH). Le projet baptisé Physi'Ho va durer quatre ans. « Nous passons au-delà des aspects concurrentiels, car c'est la pérennité de la production qui est en jeu. Nous allons consacrer 5 000 pots, de différentes variétés, à la recherche fondamentale », ajoute le directeur de la production.

Odile Maillard et Aude Richard

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