Login

" De nouvelles réflexions menées de père en fils "

De gauche à droite, Yves-Marie et Alain Stervinou. Tous deux accueilleront au printemps 2018 leurs collègues de l'International Camellia Society, en visite à l'occasion du congrès de Nantes (44).PHOTO : I. CORDIER

Installées au sein de la commune de Guipronvel (29), les pépinières Stervinou bénéficient d'un climat océanique. Spécialistes des camélias au départ, les propriétaires ont procédé à une série de réintroductions variétales afin d'envisager une diversification végétale, largement inspirée de leurs voyages.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

C'était au début des années 2000, le marché des plantes de terre de bruyère arrive à maturité. Son âge d'or passé, il accuse même un léger déclin. Or, la culture de ces végétaux, développée au début des années 1960 par Pierre Stervinou, constitue depuis 1976 l'ADN de l'entreprise, année de sa reprise par son fils Alain. Ce choix de production spécialisée, destinée à la vente en gros, est dicté par la situation géographique de l'entreprise et les opportunités économiques de l'époque. Le climat océanique du Finistère Nord est idéal pour la production des camélias, rhododendrons, azalées, magnolias ou encore piéris. C'est aussi le début de la pépinière hors-sol et du déploiement des jardineries. Dans une logique de développement commercial, Alain Stervinou est parmi les premiers à se lancer dans la culture en conteneur, avec des « cylindres en métal », se souvient-il en souriant. Il adopte ensuite les chromos au tournant des années 1980 pour faire connaître les produits au grand public.

Les voyages enrichissent le catalogue. La notoriété de l'entreprise se construit au fil des ans et des trouvailles de ce voyageur passionné. En 1997, il rapporte de Nouvelle-Zélande les camélias à petites fleurs. Baptisés « Champêtres », ils gagnent le coeur du public mais restent néanmoins une niche. Toutefois, la route est tracée et « le chemin de la curiosité mène à d'autres réflexions », souligne Alain Stervinou. Ainsi, au début des années 2000, alors que le marché des hortensias est monopolisé par les gros faiseurs de plantes fleuries, ce professionnel part à la chasse aux anciennes variétés. Ces Hydrangea de jardin, perdus et retrouvés, constituent la première « Collection 1900 ». Les camélias suivront.

Quand, en 2006, l'état du marché des plantes de terre de bruyère se dégrade, il faut trouver des solutions, faire du volume. Pour Yves-Marie Stervinou, le fils d'Alain, c'est le moment de rejoindre l'entreprise et de rélargir l'offre. De retour des États-Unis avec des idées plein la tête, il introduit des nouveautés tous les ans ; des plantes semi-rustiques et semi-exotiques, adaptées au climat océanique. Les pépinières créent ainsi une nouvelle famille de plantes, une version bretonne des fameuses « méditerranéennes ». Phormium, Cordyline ou encore graminées se succèdent alors, venues de Nouvelle-Zélande, d'Australie ou encore d'Afrique du Sud. Très bien adaptées au bord de mer, les protéacées, par exemple, sont introduites en 2008. Les plantes australes ont maintenant toute leur place sous nos latitudes. « Si le climat change, autant en profiter », s'exclame Alain Stervinou.

Savoir sélectionner. Retour à la case départ ? Pas tout à fait. Aujourd'hui, le salut économique passe par la diversification, mais il n'est pas question de revenir à des gammes de généraliste, ni de faire de la nouveauté pour la nouveauté. Même si, comme l'affirme Yves-Marie Stervinou, « une belle plante trouve toujours son marché », il faut que les jardiniers en tire un réel bénéfice, et les deux hommes justifient les introductions en adoptant un positionnement haut de gamme, avec des plantes originales.

En effet, sélectionner les végétaux pour leur robustesse, leur esthétisme, leur développement et leur parfum est une oeuvre de metteur en marché que le pépiniériste effectue en plus du travail de producteur. Et les clients sont au rendez-vous. Ils savent que tous les produits du catalogue sont testés. Un contrat de confiance est installé avec le spécialiste car, chez Stervinou, ne proposer que des végétaux vigoureux et résistants aux maladies, cela va de soi. « Si un rhododendron ne pousse pas en pleine terre chez nous, il n'y a aucune chance pour qu'il le fasse chez le client », remarque Alain Stervinou. Les nouveautés sont le fruit d'une réflexion stratégique ainsi résumée : « Faire ce que les autres ne font pas », en s'inscrivant dans le moyen et le long terme. Produites en petites séries, ces plantes assurent une très bonne rentabilité.

Ainsi, ils n'ont pas hésité à ramener « la niche dans la niche » avec les camélias tropicaux du Viêt Nam, des petits arbres de collection aux écorces décoratives ou une collection de trente variétés d'agapanthes. Et, depuis trois ans, la tendance est aux vivaces.

Refuser la facilité. Bingo donc avec les restios ! Figures emblématiques de cette stratégie, il s'agit d'une famille de plantes pérennes dont la plus connue est Elegia capensis (voir photo ci-dessus). Repérés dès 2003 au Royaume-Uni pour leur graphisme, les restios sont introduits en 2011, mais ce n'est qu'en 2016, avec le nouveau catalogue, qu'ils sont vraiment mis en avant. Très populaires chez les Anglo-Saxons, ils ont pris leur temps pour s'installer dans l'esprit des clients français. Le temps nécessaire aussi à la constitution d'un assortiment attractif en rayon, d'une dizaine d'espèces, sur les cinq cents existantes. Car la sélection est longue et la multiplication semée d'embûches. Les restios ne sont pas disponibles en méristèmes in vitro, ne se bouturent pas, se divisent très mal et se sèment difficilement, sauf à recréer leur milieu naturel, à savoir les sols incendiés d'Afrique et d'Australie. « Il faut fumer les graines », s'amuse Yves-Marie Stervinou. Et de fait, pour lever la dormance, simuler la fumigation est indispensable avec des résultats aléatoires : 5 % de levées de graines une année et 90 % la suivante. Dans ces conditions, obtenir des plantes-mères pour débuter la production prend un certain temps.

Une autre production s'avère compliquée : les azalées de Gand. De plus, ici, il s'agit d'une histoire comme on les aime chez les Stervinou. À la mode au début du XXe siècle, ces plantes créées par des horticulteurs belges sont tombées en désuétude. L'engouement pour les couleurs très vives a bien failli avoir la peau de ces azalées aux modestes petites fleurs aux tons particulièrement doux. À la fermeture de leur dernier producteur, Alain et Yve-Marie ont sauvé les pieds-mères. La production d'une dizaine de variétés entre maintenant au catalogue 2016. Contre vents et marées, le secret des Bretons pour réussir pourrait bien être d'accepter de ne pas vendre tout de suite.

Isabelle Cordier

Sur les 200 variétés de camélias disponibles à la vente, chaque année trois à cinq d'entre elles sont retirées pour accueillir autant de nouvelles. Tous ces végétaux sont multipliés en interne. Ils sont vendus à partir de trois ans d'âge.

PHOTO : I. CORDIER

Les azalées de Gand 'Mécène'. Elles font partie d'une nouvelle sous-famille introduite en 2016, dite de Gand, une série d'azalées de Chine à feuillage caduque, aux petites fleurs généralement parfumées.

PHOTO : PÉPINIÈRES STERVINOU

Elegia capensis, le plus connu des restios, une famille mise en avant sur le stand des pépinières au Salon du Végétal 2016, à Angers (49).

PHOTO : PÉPINIÈRES STERVINOU

Magnolia 'Fairy Blush' fait partie de la dernière collection valorisée en 2016. Dénommés « Michelias » , ces végétaux ont une floraison parfumée et sont adaptés aux petits jardins.

PHOTO : PÉPINIÈRES STERVINOU

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement