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“Le bon sens a sauvé les séquoias de Disneyland Paris”

« L'analyse sur le terrain a permis d'établir que la cause principale du dépérissement des séquoias était liée à un déficit hydrique chronique », souligne Claude Guinaudeau, expert.

Claude Guinaudeau, ingénieur horticole, expert des techniques du paysage et de l'environnement, et auteur de plusieurs ouvrages de référence sur la gestion des arbres, le préverdissement, les haies, est intervenu en 2012 à Disneyland Paris à la demande de Luc Béhar-Bannelier, directeur du département Nature & Environnement, pour tenter de résoudre un problème de plus en plus préoccupant : le dépérissement des séquoias géants présents sur le site.

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Le parc Disneyland Paris possède un patrimoine arboré très important avec 60 ha de forêt et près de 35 000 arbres. Parmi les essences emblématiques, le séquoia géant figure en bonne place. Pas moins de 1 000 sujets sont présents, en particulier sur le secteur de l'hôtel Séquoia Lodge (300 sujets), ceux de Disney Studios (203), du boulevard (104) et du golf (155).

Ils ont été plantés à la création du parc au début des années 1990, pour l'essentiel dans des calibres autour de 45/50 et près de 10 m de haut. Pendant les quinze premières années, les arbres se sont développés sans grandes difficultés grâce à de bonnes conditions climatiques et à un suivi régulier des équipes Nature & Environnement. Durant cette période, seuls quelques problèmes ponctuels ont été signalés et ont été attribués à la présence d'un parasite : Botryosphaeria dothidea.

Mais les phénomènes de dépérissement se sont accentués avec des brunissements partiel ou total du feuillage, sans qu'on puisse en déterminer les causes précises, hormis les changements climatiques (épisodes de sécheresse et de canicule du début des années 2000) et l'environnement des plantations peu favorable (parking, voirie, sol remanié). Entre 2007 et 2011, le service a fait appel à différents spécialistes pour tenter de contrecarrer le phénomène. Malgré différentes actions curatives entreprises, le résultat n'a pas été à la hauteur des attentes... En février 2012, une mission d'expertise a été confiée à Claude Guinaudeau, ingénieur. Son premier travail a consisté à analyser les études précédentes puis à se rendre sur le terrain avec les équipes de jardiniers en charge de la gestion.

Une approche globale qui s'appuie sur les connaissances des jardiniers. La grande expérience de Claude Guinaudeau en matière de sols et de gestion des arbres lui a permis d'analyser rapidement le problème. « Grâce aux premières observations sur le terrain, nous avons constaté que le système racinaire nourricier des arbres (le chevelu) présentait des volumes très variables, allant de 5 à 25 m3. En réalisant des sondages à la tarière au pied des arbres, nous avons pu observer que les sols étaient secs, 53 % des arbres présentant un déficit hydrique à la sortie de l'hiver 2012 », indique-t-il.

À la suite de ces premières constatations, il a été décidé de réaliser une fiche d'inventaire spécifique pour près de 400 des 900 séquoias, ceux jugés les plus vulnérables. Outre des données de repérage, elle comprend une analyse visuelle de la structure et de la texture du sol, son niveau d'humidité, le niveau de compactage de la zone d'ancrage, la profondeur et la superficie d'enracinement (systèmes d'ancrage et nourricier), l'état physiologique du sujet, ainsi que des éléments sur l'environnement de plantation, la présence d'un système d'arrosage automatique... « Notre objectif était d'analyser la façon dont les fonctions vitales (boire, manger, respirer) des arbres pouvaient être assurées. Nous avons travaillé en relation étroite avec les “services supports” supervisés par Marc Long : patrimoine arboré (Aïda Mauricio et Laurent Reneux), lutte raisonnée et suivi sanitaire (Hassane Bouyahia), gestion de l'eau (Emmanuel Sohet), sans oublier les jardiniers en charge de l'entretien des secteurs sur lesquels les séquoias étaient installés. Il s'agissait non seulement de les sensibiliser à cette problématique, mais aussi d'utiliser leur très bonne connaissance du terrain et des conditions de vie de ces arbres. »

En mai 2012, le bilan est le suivant : près d'une quarantaine de séquoias affichaient un mauvais état physiologique et étaient considérés en sursis, 65 se trouvaient dans un état jugé moyen et 2 étaient morts. « Cette analyse nous a permis d'émettre l'hypothèse que la cause principale du dépérissement était liée à un déficit hydrique chronique. La solution pour remédier à ce problème m'est venue en repensant à un adage que ma grandmère appliquait pour arroser son jardin. En fonction des plantes et de leur implantation, elle disait qu'il fallait arroser ni trop, ni trop peu. Face à la diversité des milieux d'implantation des sujets du parc, il fallait de la même façon mettre en place un suivi personnalisé des arbres. Un travail qui ne pouvait se faire sans la complicité des jardiniers et de l'équipe d'arboriculture. » À partir du volume racinaire estimé lors du relevé de terrain, les gestionnaires ont instauré un protocole pour le suivi de l'état hydrique du sol et le déclenchement de l'arrosage. Toutes les semaines, les séquoias qui doivent potentiellement faire l'objet d'un arrosage sont répertoriés. Au préalable, les jardiniers réalisent des sondages à la tarière au niveau de la zone racinaire pour évaluer l'humidité. Si le sol est jugé sec, l'arrosage est déclenché. Sinon, il est reporté à la prochaine campagne, la semaine suivante.

En complément, des analyses de sols pratiquées sur une soixantaine de prélèvements ont montré que les terrains présentaient un pH basique, une texture limoneuse et un faible niveau d'activité biologique. Pour améliorer ces éléments et la capacité de rétention en eau, la solution proposée a été d'apporter de la matière organique, sous forme de BRF (bois raméal fragmenté) pour les sujets en bon état physiologique, de compost pour ceux présentant un état bon à moyen, de lombricompost solide pour les autres (état moyen à mauvais). En outre, un apport de mélange terreux a été effectué pour les arbres dont la profondeur du système racinaire nourricier était inférieure à 40 cm.

Des résultats encourageants. « Les premières analyses visuelles effectuées en octobre 2012, soit six mois après l'installation du protocole d'arrosage et de l'apport de matière organique, ont été encourageantes. Le nombre de sujets jugés dans un état mauvais est passé de 44 en mai 2012, à 22 en octobre 2012, et à 13 en octobre 2013. Pour certains, le résultat est spectaculaire, avec un feuillage totalement reverdi », poursuit l'expert. Après un an (février 2013), 78 % des sols sondés (environ 139 sujets représentatifs) sont dans un état hydrique frais, 19 % dans un état sec, et 3 % dans un état humide. Au printemps 2013, la campagne d'arrosage a été étendue à 600 sujets, dont 567 séquoias, des Nothofagus et des cèdres. Différents outils de prélèvement ont été testés et de nouvelles tarières ont été utilisées pour faciliter le travail des jardiniers. En février 2014, un bilan hydrique permettra d'affiner encore l'arrosage. Des apports de matière organique seront prévus sur les nouveaux sujets suivis et des analyses de sols seront effectuées au cours de l'été pour suivre l'efficacité de la démarche engagée.

« Le bon sens a sauvé les séquoias de Disneyland Paris. Cette expérience a été riche d'enseignements autant pour moi que pour les gestionnaires. Elle a permis de montrer que seule une approche globale et impliquant les personnes en charge du suivi sur le terrain pouvait apporter une solution adaptée. Certes, celle-ci demande un investissement important, avec près de 4 000 heures d'arrosage en 2012. Mais il est moindre que celui des études précédentes et il s'est révélé plus efficace. L'objectif de sauver les séquoias qui représentent un patrimoine majeur pour l'image du parc a été atteint », ajoute Claude Guinaudeau.

Yaël Haddad

Un séquoia montrant des symptômes de dépérissement.

Le même séquoia après la mise en place du protocole d'arrosage.

Une nouvelle tarière, plus légère et plus pratique, est utilisée pour le sondage des sols. Elle facilite le travail des jardiniers.

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