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“Le jardin thérapeutique se construit avec les soignants”

De gauche à droite : Jean-Yves Pauchard, Nathalie Joulié-Morand, Guillaume Berthier, et Philippe Pauchard. Les quatre partenaires ont lancé, en Lorraine, Terramie, structure dédiée à la conception et à la réalisation de jardins à visée thérapeutique.PHOTO : ISABELLE BOUCQ

L'entreprise lorraine Pauchard s'est lancée, depuis près de trois ans, dans une vaste réflexion sur les jardins à visée thérapeutique. Ayant analysé les études sur leurs bienfaits, l'offre, les besoins, et le marché potentiel, elle a créé Terramie, une entité dédiée, et compte aujourd'hui plusieurs réalisations à son actif.

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Il y a trois ou quatre ans, Philippe Pauchard et son frère Jean-Yves ont commencé à recevoir des appels de maisons de retraite qui voulaient créer des jardins pour les patients atteints de la maladie d'Alzheimer, ainsi que des espaces intergénérationnels. Installée dans la région de Nancy (54), la famille Pauchard travaille avec les plantes depuis quatre générations. En cent ans, elle s'est adaptée aux évolutions du marché. Ferme et pépinière à partir de 1910, elle se tourne vers le paysagisme dans les années 1980, l'ouverture d'un bureau d'études spécialisé en conception de jardins et de piscines en 2000, puis cet investissement dans les jardins à visée thérapeutique pour les établissements accueillant des personnes âgées, tout en restant pépiniéristes producteurs. « Nous étions très motivés à l'idée de pouvoir apporter du bien-être. Quand nous aidons une personne de 85 ans à mettre les mains dans le terreau, nous sommes émus. »

« Nous souhaitions nous investir correctement. Nous avons donc demandé à Guillaume Berthier, un collègue paysagiste, également formateur au sein du réseau Alliance Paysage, de faire une étude sur l'existant. Nous avons trouvé une mine d'informations et nous nous sommes rendu compte du retard de la France et du potentiel », se souvient Philippe Pauchard, diplômé de l'École supérieure d'architecture des jardins (ESAJ). À ce jour, l'entreprise familiale Pauchard SA, comprenant une vingtaine de salariés et implantée à Roville-devant-Bayon (54), a déjà réalisé trois jardins de ce type. Elle travaille sur un quatrième et attend la validation de quatre autres propositions. Mais ne lui demandez pas de faire des jardins à visée thérapeutique clés en main : « Ils se construisent avec le personnel soignant. C'est une relation entre le jardin, les résidents et les équipes soignante et d'entretien. Nous apportons les outils et la méthode, et nous formons les intervenants. Autrement, le projet ne dure pas. C'est un travail en amont et en aval. »

Exemple concret avec la maison de retraite Saint-Rémy en plein coeur de Nancy. Dans cet établissement privé appartenant à la congrégation des soeurs de Saint-Charles et accueillant cent trente résidents, le besoin s'est fait sentir de créer une unité de vie protégée pour répondre aux besoins des patients atteints de la maladie d'Alzheimer. La nouvelle unité, construite il y a moins de trois ans, compte onze résidents et trois personnes en accueil de jour. Mais le jardin originel s'est vite révélé mal adapté : allées en composite, planches en plastique, baies toxiques rendent son usage dangereux. L'équipe de Philippe Pauchard a donc été appelée à la rescousse. Créé au printemps 2013, le nouveau jardin s'est appuyé sur les enseignements de plusieurs autres réalisations et les discussions avec les équipes soignantes : « Il fallait que la déambulation ne soit pas dangereuse et que les jardinières soient à hauteur des résidents pour qu'ils n'aient pas à se baisser », explique le paysagiste. D'où, par exemple, le choix d'allées en matériau naturel perméable et antidérapant, un granite concassé dont la couleur est familière aux résidents à la place d'un matériau noir qui représente le vide et les effraie.

Dans les jardinières, les résidents, encadrés par le personnel d'animation, ont choisi de planter des tomates cerise, des poivrons, du céleri, des herbes aromatiques, des potirons... transformés en soupe lors d'un atelier de cuisine. « Ils viennent cinq minutes ou une heure en fonction de leur humeur ou du temps. S'ils n'ont pas envie, ils ne participent pas », continue Philippe Pauchard. Grâce à un espace aménagé avec des tables et des parasols, les familles en visite peuvent passer un moment au jardin. Au fond, des pommiers et des poiriers en espalier permettent de maximiser l'espace. Avec un budget de 25 000 euros et un mois et demi de travail (les résidents ont suivi les travaux avec intérêt), l'unité de vie protégée de Saint-Rémy s'est dotée d'un jardin que les résidents ont investi, comme ce monsieur alsacien qui cultivait chez lui de nombreuses fleurs et qui apprécie désormais « son nouveau terrain » urbain au sein de la maison de retraite. Les autres personnes âgées peuvent aussi venir en profiter, mettant ainsi cette unité, un peu à part, au coeur de la vie de l'établissement. Pour Patrick Messein, le directeur : « Un jardin adapté, sécurisé, agréable qui encourage le toucher et la réminiscence et apporte de la beauté, c'est une satisfaction. Si c'était à refaire, je le ferais plus grand. »

Dans l'entreprise Pauchard, on ne lésine pas sur la formation interne. Pour ce nouveau type d'aménagements, « on sent que certaines salariées ont la fibre, mais elles vont quand même suivre une formation afin de les sensibiliser au travail dans le respect de la personne, et de les préparer à intervenir au coeur des unités Alzheimer où la durée de vie est de quatre ou cinq ans », précise le jeune entrepreneur. « Notre crainte, pour le développement de ces espaces où le mot thérapeutique est utilisé à toutes les sauces, c'est que la personne et la déontologie ne soient pas respectées. » Quand Philippe Pauchard se lance dans la mise en place d'un jardin à visée thérapeutique, il part de l'attente des équipes, des pathologies des résidents, de l'environnement, et du budget. « Nous apportons notre savoir-faire et nous dessinons un projet que les établissements utilisent pour partir à la recherche de subventions s'ils ne disposent pas de fonds propres. » Cette épineuse question du financement mène le pépiniériste tout droit à un autre objectif : pouvoir quantifier les bienfaits du jardin pour prouver son utilité.

Philippe Pauchard en profite pour distiller quelques conseils : les végétaux sont choisis pour pouvoir être appréciés rapidement ; des nichoirs et des hôtels à insectes sont utilisés pour attirer la vie animale ; dans le cadre des ateliers, les outils doivent s'adapter aux mains des personnes âgées ; des pentes douces plutôt que des marches et des angles arrondis, moins agressifs, sont installés pour éviter aux résidents d'avoir à lever les pieds ; une arche symbolique permet de créer une passerelle psychologique (le jardin mène vers un autre monde, vers une autre dimension...).

Sur un autre site, - la maison de retraite Saint-Charles à Bayon (54) -, la société Pauchard a créé un jardin intergénérationnel. Les enfants viennent cultiver leurs carrés de terre implantés au milieu du parc fréquenté par les résidents. Vivaces et rosiers bordent les plantes aromatiques et les légumes. Et les plus jeunes côtoient les personnes âgées. Dans ce lieu, l'entreprise a installé un espace destiné au Pasa (Pôle d'activités et de soins adaptés). Des ergothérapeutes et des kinés l'utilisent pour travailler individuellement avec les résidents sur les sensations tactiles ou la stimulation de la marche. Quant à Philippe Pauchard, croisant par hasard dans un TGV Michèle Delaunay, ministre déléguée aux Personnes âgées et à l'autonomie, il n'a pas manqué de lui présenter les initiatives qui ont été menées dans ce domaine...

Isabelle Boucq

Dans le jardin intergénérationnel implanté dans le parc de la maison de retraite Saint-Charles à Bayon (54), des carrés de terre sont cultivés par les enfants des écoles.

PHOTO : ANTOINE LABREUCHE

Au jardin, les patients prodiguent des soins aux plantes aux côtés des soignants qui ont troqué leur blouse blanche contre le tablier de jardinier.

PHOTO : ANTOINE LABREUCHE

Dans le jardin de l'unité de vie protégée de la maison de retraite Saint-Rémy, à Nancy, les résidents plantent des fruits et des légumes dans des jardinières situées en hauteur.

PHOTO : ANTOINE LABREUCHE

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