" Des bandes plantées plutôt que des alignements dans nos villes denses "
Le paysagiste Jean-Marc L'Anton estime que le contexte urbain actuel rend le concept d'alignements d'arbres dépassé. Lorsque c'est possible, il préconise plutôt des bandes végétales dont la gestion peut s'adapter au contexte quitte à recéper les arbres quand c'est nécessaire. Ce travail a abouti à la mise en place de noues paysagées permettant en outre de gérer les eaux de ruissellement.
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« Les alignements d'arbres ont été imaginés à une époque où la densité urbaine était faible et les réseaux inexistants, donc avec peu de contraintes techniques. Un bel alignement doit être constitué d'arbres homogènes plantés à équidistance les uns des autres. Souvent les alignements ont été créés à la campagne le long des routes. Et aux abords des villes, l'urbanisation s'est développée le long de ces routes en conservant les alignements. Les avenues de la capitale et celles de rares villes ont une histoire différente. À l'époque du baron Haussmann, les avenues parisiennes ont été plantées d'alignements. Les arbres étaient loin des façades, les voies plus larges. Mais aujourd'hui, le contexte urbain fait qu'il est de plus en plus rare de rencontrer les conditions idéales pour planter de tels alignements, qui présentent souvent des interruptions fonctionnelles. Il n'est souvent possible d'aménager qu'un seul côté d'une rue, de façon asymétrique, mais cela présente un avantage : avoir des surfaces à planter plus importantes, et au final plus d'espaces apaisés. » Ce constat, dressé par le paysagiste Jean-Marc L'Anton, lors du colloque génie végétal, qui s'est déroulé à Paris (75) en février dernier (le Lien horticole n° 1006 du 8 mars 2017) et organisé par Val'hor avec différents partenaires, n'a pas laissé indifférents les participants. D'autant quela solution que le paysagiste propose sur le terrain, pour peu qu'elle fasse de nombreux émules, impliquerait une évolution profonde de l'offre en pépinière. Une évolution des espèces utilisées, certes, mais aussi des formes proposées. En effet, Jean-Marc L'Anton envisage, dans certains de ses projets qui s'y prêtent, d'installer des bandes plantées plutôt que des alignements.
> Des bandes plantées de différentes strates et de beaux arbres quand c'est possible. Le paysagiste formé à l'École nationale supérieure du paysage de Versailles (78) dans les années 1980 n'exclut évidemment pas de préserver, voire de replanter des alignements, « presque comme des monuments historiques », mais, quand le contexte s'y prête, il dessine de plus en plus des bandes plantées dans des tranchées en continu composées de différentes strates végétales. Les arbres sont le plus souvent des espèces capables de supporter le recépage : s'ils prennent trop d'ampleur et posent problème, il suffit de les couper. « Ce qui n'empêche évidemment pas de laisser la place à de beaux arbres là où c'est possible », tempère-t-il. En fait, le paysagiste prêche un certain opportunisme : « Autour du tramway T5, à Pierrefitte-sur-Seine (93), nous avons dû abattre les alignements historiques existants pour faire place à la nouvelle voie. Les futures lignes d'arbres ont dû être réimplantées sur des axes différents notamment pour éloigner les végétaux des façades existantes. » Comme les travaux de l'ampleur de la mise en place d'un tramway impliquent la réorganisation des réseaux en souterrain, il a été possible de les regrouper et de les éloigner des plantations, en l'occurrence des Sophora, robiniers, Gleditsia...
> Faire rentrer le bocage dans la ville. Outre le fait de proposer des espaces plus fonctionnels, l'idée est aussi d'obtenir des plantations plus diversifiées, multi-espèces, qui supporteront mieux l'arrivée de nouveaux ravageurs ou de maladies et qui, en outre, vont se développer rapidement et vite s'avérer luxuriantes. Au fond, c'est la haie bocagère de sa Bretagne natale que le paysagiste fait rentrer dans la ville. Avec une gestion qui s'en rapproche, en coupant les parties qui posent un problème de viabilité : « Le paysan a le même problème que le gestionnaire d'espace vert. Il n'aime pas qu'une branche d'arbre tombe sur l'une de ses bêtes. En ville, il faut aussi gérer ces chutes de branches, mais également, comme pour le bocage, régler l'apport lumineux au sol. La rotation rapide d'une végétation adaptée rend plus facile cette évolution permanente. »
> L'occasion de gérer les eaux de ruissellement. Avec cette approche, Jean-Marc L'Anton peut régler un autre problème : les eaux de pluie. Il s'est fait une spécialité de la réalisation de noues urbaines collectant les eaux de ruissellement qu'il essaye toutefois de limiter en dessinant des espaces perméables chaque fois que possible, même pour le stationnement automobile. « Nous travaillons depuis longtemps sur les assainissements alternatifs. Nous avons livré, par exemple, les aménagements de l'entrée de la ville du Havre où, malgré un trafic automobile très important, l'eau de pluie des voiries est collectée dans des noues plantées puis infiltrée dans le sol en place plutôt qu'évacuée dans des linéaires de tuyaux de plus en plus gros qui vont vers des stations d'épuration toujours plus saturées. Nous avons également installé cette année probablement la première pataugeoire ouverte au publique dotée d'une filtration biologique. »
> Planter en fonction de l'existant en pépinière. Basée à Arcueil (94), à deux pas de Rungis (94), l'agence L'Anton et associés assure des missions sur le site du marché d'intérêt national (MIN) de plus de 230 ha et ses abords. « Pendant 50 ans, il a été dirigé sans vouloir entendre parler d'environnement. Aujourd'hui, le nouveau président est très sensibilisé à ces problématiques, et nous assistons ses équipes depuis plusieurs années », explique Jean-Marc L'Anton. Un travail qui valorise bien sûr son savoir-faire, avec des aménagements d'abords de bureaux pour créer des espaces extérieurs de convivialité, mais aussi des aménagements de voies qui relient les principaux bâtiments.
Sur certains axes, l'agence a dû planter de très grands arbres pour satisfaire le souhait du MIN et être « à l'échelle » des espaces gigantesques du marché : « Nous avons regardé ce qui existait en pépinière et fait le projet en fonction, explique Jean-Marc L'Anton. À cet endroit, l'eau aurait pu être collectée et infiltrée, mais le gestionnaire ne l'a pas souhaité. Par contre, un peu plus loin, une prairie fleurie à base, entre autres, d'iris, de laîches ou Carex, voire de prêles, a pu être implantée dans une zone qui désormais collecte les eaux de pluie. Un avaloir a été simplement occulté, et la bordure percée pour que les eaux se déversent directement dans la noue plutôt que dans les tuyaux. Ce dispositif très simple s'avère tout à fait satisfaisant depuis sa mise en oeuvre en juin. Pour rassurer les exploitants, la possibilité avait été ménagée de rouvrir un drain raccordant la noue à l'avaloir existant au cas où celle-ci n'absorberait pas l'intégralité de l'eau qui s'écoule des impressionnantes surfaces bitumées attenantes. « On ne peut pas moduler la capacité du sol à infiltrer, précise le paysagiste, et surtout, même par le calcul, on ne sait pas modéliser la réelle capacité d'absorption d'un sol. » Il faut donc s'adapter au contexte.
> On peut être économes si on dépense en matière grise. Il y a quelques années, en façade du MIN, l'agence avait aménagé une voie nouvelle dont les eaux étaient collectées par une noue plantée. Le territoire du marché est particulièrement plan et la voie en question n'avait aucune pente en long. Les noues avaient donc l'intérêt de pouvoir stocker les eaux pluviales avant qu'elles ne s'infiltrent ou débouchent vers les exutoires existants. En cas de fortes pluies, la noue se remplit, et finit à son extrémité par se déverser dans un avaloir avec un débit contrôlé. Cela n'est pas différent de ce qui se passe dans les fossés le long des voies implantées dans les plaines fluviales souvent particulièrement horizontales. Pour lui donner un volume de stockage suffisant, il a fallu que l'espace situé sous le trottoir puisse également stocker des eaux pluviales. Ce trottoir est donc posé sur un gabion constituant une partie invisible attenante à la noue visible et plantée. Cette noue urbaine représente assez bien ce que le paysagiste préconise aujourd'hui : un espace qui longe les axes de circulation, végétalisé, et collectant l'eau de pluie. Son bord est « propre », c'est-à-dire tondu ou fauché régulièrement. La végétation en retrait est gérée ensuite en fonction de son développement. Par contre, la palette est ici encore horticole, frênes et hêtres surplombent des iris et bégonias. « Maintenant, je réalise des choses moins horticoles et également moins techniques », précise le paysagiste, qui plante désormais plutôt des saules, des aulnes et des frênes accompagnés de cortèges d'herbacées que l'on rencontre dans les fossés ruraux.
« On peut être économes si on dépense en matière grise », conclut Jean-Marc L'Anton qui, comme nombre de ses collègues, se désespère de voir « les études de maîtrise d'oeuvre être octroyées à des prix massacrés amenant les maître d'ouvrage à accepter des études réalisées ''en courant'', à subir in fine des aménagements souvent mal pensés, plus coûteux et/ou difficiles à gérer ». L'une des idées fortes qu'il défend, avec d'autres, consiste à trouver et à éprouver des systèmes de gestion moins gourmands. C'est justement dans l'air du temps...
Pascal Fayolle
Sur le MIN de Rungis, pour donner un volume de stockage suffisant à cette noue, il a fallu que l'espace situé sous le trottoir puisse stocker des eaux pluviales. Le trottoir a donc été posé sur un gabion. PHOTO : PASCAL FAYOLLE
Les places de stationnement perméables sont privilégiées pour mieux gérer les eaux de ruissellement. PHOTO : PASCAL FAYOLLE
Quand le contexte s'y prête, le paysagiste dessine de plus en plus des bandes plantées dans des tranchées en continu composées de différentes strates végétales. PHOTO : PASCAL FAYOLLE
Sur le MIN de Rungis (94), le travail ne se limite pas aux axes de circulation. Des espaces extérieurs de convivialité ont été créés. PHOTO : PASCAL FAYOLLE
Les aménagements de l'entrée de la ville du Havre (76). Malgré un trafic automobile très important, l'eau de pluie des voiries est collectée dans des noues plantées puis infiltrée dans le sol en place . PHOTO : AGENCE L'ANTON ET ASSOCIÉS
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