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Le brexit a bousculé le quotidien des exportateurs

Comment les producteurs européens qui commercent avec le Royaume-Uni vivent-ils la rupture du pays avec l’Union européenne entrée en vigueur en janvier ? Si les démarches administratives semblent complexes, la demande de produits horticoles reste forte...

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«Cela fait déjà plusieurs semaines que nous expérimentons le nouveau système », note Adrian Ayley. Depuis plus de vingt ans, ce Britannique spécialisé dans le négoce propose ses services à des sociétés françaises, italiennes, espagnoles ou irlandaises. Il assure le transport vers différents pays, et notamment le Royaume-Uni. Or, depuis l’entrée en vigueur du Brexit le 1er janvier dernier, les producteurs européens qui exportent vers la Grande-Bretagne doivent effectuer des démarches administratives et fournir un certificat phytosanitaire pour des types spécifiques de plantes. L’Association internationale des producteurs horticoles (AIPH) avait estimé que le prix des produits exportés vers la Grande-Bretagne pourrait augmenter de presque 20 % depuis la mise en place de ces mesures.

Figurant au nombre des clients d’Adrian Ayley, Plandorex, un groupement d’in­térêt économique (GIE) à Saint-Cyr-en-Val (45) spécialisé dans les jeunes plants. « Ils avaient presque envie d’abandonner le marché britannique avec ces nouvelles règles », confie-t-il.

Des démarches administratives longues

« L’administratif est assez compliqué, témoigne Mark Hodson, qui s’occupe, pour la pépinière qu’il dirige, Turcieflor, à Mazé-Milon (49), du marché anglais. Il faut anticiper, en déclenchant­ les démarches au minimum une semaine avant l’envoi. Des documents doivent être remplis en anglais et en français. Ça s’effectue facilement, mais il faut le faire en temps et en heure. » Pour ce producteur spécialisé dans les asltroemères, les agapanthes et les cannas, l’export représente entre 15 et 20 % du chiffre d’affaires, dont environ 10 % rien que pour le Royaume-Uni.

Même son de cloche pour Benoît Ripaud, à la tête de Ripaud horticulture, à Moncoutant (79), qui exporte vers la Grande-Bretagne principalement des Taxus, ifs et autres tiges. Pour lui aussi, c’est l’administratif qui est le plus compliqué. Mais il estime que les difficultés engendrées par le Brexit ne sont pas insurmontables. « Le surcoût par camion envoyé est d’environ 150 euros. Ce n’est pas excessif. Et plus le volume est important, moins c’est gênant », affirme-t-il.

Adrian Ayley est plus dubitatif : « C’est vraiment compliqué, et dans les deux sens. » Il faut être organisé, s’y prendre à l’avance. Pour chaque camion, il faut une bonne heure pour remplir tous les documents. Pour la première semaine de mars, l’entreprise en a envoyé dix-neuf. « On va avoir besoin de quelqu’un à plein temps, juste pour se charger de l’administratif pour l’importation et l’exportation avec le Royaume-Uni. » Pour le moment, c’est son fils, depuis peu dans l’entreprise, qui gère cette partie. « Il ne fait que ça. Ce n’était pas vraiment ce qui était prévu au départ… » observe son père.

Le passage à la douane engendre un surcoût de 200 à 300 euros par camion. « Ce n’est pas énorme, mais c’est en plus ! » D’autant que le prix des transports en lui-même a augmenté. « Pour un camion italien, c’est presque 1 000 euros de plus. Et environ 200 pour un véhicule français, par rapport à Noël dernier. »

Certains transporteurs préfèrent en effet faire les retours à vide, afin d’éviter la douane dans l’autre sens, qui sont facturés au client. Pour la France, il faut donc compter entre 400 et 500 euros en plus par camion. Reste la question du coût du certificat phytosanitaire, le passeport phytosanitaire européen n’étant plus suffisant pour le Royaume-Uni. « Pour l’instant, il est gratuit mais ça ne devrait pas durer. Et on ne sait pas combien ça va coûter », s’interroge Adrian Ayley. Sa société devait se concerter fin mars pour voir si les factures actuelles correspondaient aux coûts ou s’il fallait les augmenter.

Quelles astuces pour exporter malgré le Brexit ?

Pour exporter, notamment vers l’Angleterre, Benoît Ripaud a fait le choix il y a trois ans de s’unir avec d’autres producteurs. L’association Pépinières de France est alors née. Elle regroupe, entre autres, les pépinières Ripaud, Javoy, Gaurrat, Guillot-Bourne, Pilté, Chatelain… Ce rapprochement leur permet de proposer à l’exportation un large panel de plantes et de diminuer les coûts. Avec le Brexit, cette tactique devrait s’avérer payante.

Même stratégie pour la société d’Adrian Ayley. Les producteurs ou groupements de producteurs passent par lui pour organiser le transport et la facture. La marchandise de plusieurs provenances se retrouve dans un seul camion. L’avantage est qu’une seule entreprise remplit les papiers pour tout le monde.

Une autre solution est de passer par les Pays-Bas. « Ils sont très organisés. Souvent, on fait une commande groupée avec eux, rapporte Mark Hodson. Cela s’avère plus simple pour les démarches, mais c’est plus cher. »

« Pour des petits lots, c’est plus facile de grouper avec les Pays-Bas plutôt que de le faire soi-même, confirme Adrian Ayley, parce que beaucoup de camions partent régulièrement. »

Des contraintes réglementaires, pour quels résultats ?

Le Royaume-Uni avait décidé de mettre en place des contrôles aux frontières en plusieurs étapes, puisque la pandémie affecte déjà durement les entreprises. Si des papiers sont déjà nécessaires pour passer la frontière, à partir du 1er janvier 2022 (initialement le 1er juillet 2021), les contrôles et fouilles seront renforcés. « Mais comment inspecter un camion rempli de plantes ? s’interroge Adrian Ayley. Il faudrait le décharger complètement. » Le négociant n’est pas convaincu de l’efficacité de cette procédure. « On perd énormément de temps pour établir les documents, mais le résultat n’est pas meilleur pour éviter la transmission des maladies d’un pays à l’autre. Il y a trop de contrôle administratif et pas assez d’examen des plantes transportées. Je me demande parfois pourquoi on s’occupe de toute cette paperasse. » Selon lui, il faudrait plutôt contrôler les pépinières faisant de l’export.

Les mois et les années à venir seront-ils plus simples ?

« On va trouver une façon de faire. C’est une phase d’apprentissage. On va sûrement être enquiquinés pendant deux ans. Mais on a besoin d’eux et ils ont besoin de nous », juge Mark Hodson. Même écho chez Pépinières de France : « Pas sûr que ce soit plus compliqué dans les mois à venir », espère Benoît Ripaud.

Adrian Ayley est d’un autre avis : « Ça ne m’étonnerait pas que des entreprises qui exportent seulement un peu en Grande-Bretagne abandonnent. » D’après lui, la situation devrait même devenir plus compliquée. Il a reçu des papiers concernant Xylella fastidiosa. Cinq espèces de plantes sont concernées par des mesures supplémentaires pour l’importation. Des précautions qui vont notamment poser des problèmes aux producteurs italiens. « À mon avis, on verra une baisse d’activité en France vers le Royaume-Uni si les producteurs peuvent vendre à d’autres pays », entrevoit-il.

Léna Hespel

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