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Le thé commence à infuser en France !

Quelques producteurs se sont lancés dans la culture de Camellia sinensis dans l’Hexagone. Seules quelques régions permettent le développement de cette espèce, mais les pionniers y croient dur comme fer !

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Thé de Chine, du Japon, de Ceylan… bientôt de France ? Cette idée n’est pas du tout saugrenue, elle est même en passe de se réaliser : une trentaine d’installations ou de projets sont en cours dans l’Hexagone, et une association, l’ANVPTF, Association nationale pour la valorisation des producteurs de thé français, a même été créée pour les fédérer…

De quoi faire émerger de belles histoires, comme celle de Weizi, d’origine chinoise, et Denis Mazerolle, pionniers dans le domaine. Ensemble, ils ont installé un jardin de thé en Bretagne, à Languidic, dans la vallée du Blavet, près de Lorient (56). En 2006, ils plantent dans cette zone a priori favorable à Camellia sinensis une dizaine de sujets. Ceux qui ne sont pas dévorés par les chevreuils donnent huit ans plus tard une première petite récolte à la palette aromatique « riche et séduisante, liée aux conditions de culture “semi-sauvages’’ ».

Encouragés par ce premier succès prometteur, ils plantent en 2015 200 théiers d’origines différentes. Ainsi, depuis 2016, d’avril à juillet, ils récoltent quelques kilogrammes des précieuses feuilles de l’arbuste qu’ils transforment en thé noir, vert ou blanc. En 2018, 2 000 sujets sont plantés, puis 13 000 l’année suivante, pour porter l’exploitation à 3 ha. Ce sont des sujets issus de la multiplication de plantes maison qui sont alors plantés : Filleule des fées, l’entreprise de Weizi et Denis Mazerolle, propose aussi à la vente des plants de différents cultivars de théier. À terme, l’objectif est de porter à 10 ha la surface en culture.

Une culture très extensive

En 2020, les thés produits sont commercialisés, en très petite quantité : la récolte n’est pas encore suffisante pour la vendre sous forme de feuilles séchées et transformées. Ce sont donc des dégustations sur place qui sont proposées. Le prix du produit est élevé : autour de 1 500 euros le kilo (contre une centaine d’euros pour un thé courant de qualité moyenne dans un magasin vendant en vrac en ville). « Mais quand nous aurons atteint 200 kg de production, nous devrions pouvoir baisser le prix entre 300 et 500 €/kg », précise Denis Mazerolle.

Sur un marché mondial fort de cinq millions d’hectares de théiers, la récolte annuelle est de six millions de tonnes, soit en moyenne 1,2 t/ha. Dans la catégorie inférieure, c’est-à-dire les sachets vendus dans les supermarchés, certaines cultures peuvent atteindre 4 t/ha. Mais il faut pour cela mener les plantes de manière très intensive, avec un niveau d’intrants important. Ce n’est pas le choix qu’a fait Filleule des fées, qui a opté au contraire pour une culture très extensive. Les plantes sont paillées avec une paille d’orge récupérée localement, fertilisées avec un peu de fiente de poules de plein air d’un élevage à proximité. L’exploitation est certifiée bio.

Un potentiel de développement en France

Plus globalement, pour Weizi et Denis Mazerolle, il y a en France un potentiel pour développer l’activité. Évidemment, Camellia sinensis ne peut pas du tout pousser sur les terres calcaires (il lui faut un pH compris entre 4,5 et 6), ni sous un climat trop sec. Mais la Bretagne, le Pays basque ou les Cévennes, disposant de sols acides et bien drainants, ainsi que de climats adéquats (une bonne hygrométrie, idéalement autour de 70 %, les problèmes pouvant survenir sous les 50 %), représentent un potentiel favorable pour ceux qui voudraient se lancer.

Denis Mazerolle estime le potentiel de la Bretagne et du Pays basque à une centaine d’hectares chacun. Il pense même qu’il pourrait s’agir d’une culture au bilan carbone intéressant : « En ce qui me concerne, j’ai planté sur une ancienne prairie naturelle. Je produis avec si peu d’intrants que je pense que le bilan carbone de ma cul­ture est positif. » C’est-à-dire qu’elle aurait capté dans les plantes davantage de carbone que la prairie naturelle initiale. C’est toutefois une intuition, qui reste à confirmer par un calcul scientifique. Dans sa région, au moins, les théiers ne demandent pas non plus d’arrosage...

Le thé français a d’autant plus de potentiel que les problèmes phytosanitaires sont rares sur les plants de Camelliasinensis. Ils sont non seulement sensibles aux chevreuils à la plantation, mais également aux lièvres et grands campagnols. Quant aux maladies, Denis Mazerolle ne perçoit pas encore l’ensemble des risques, qui lui semblent assez limités. « La plante est un peu difficile à faire démarrer, mais quand elle est enracinée, elle est solide », estime le producteur.

Être un bon producteur… et un bon transformateur !

Et il ne faut pas oublier que la palette des cultivars disponibles est assez large pour s’adapter à de nombreuses situations, la répartition de la culture dans le monde en étant une bonne preuve ! « En Ukraine, des sujets ont résisté à - 20 °C. Dans certaines régions chinoises, la sécheresse constitue un problème, mais ils ont trouvé des cultivars adaptés », précise le producteur français. D’ailleurs, la Chine cultive la plante depuis plus de 2 000 ans et dispose à elle seule de plus de 1 000 cultivars. Il y en aurait 200 à 300 au Japon et plus d’une centaine en Europe…

Par ailleurs, si Filleule des fées s’est foca­lisée sur un modèle haut de gamme, ses créateurs estiment qu’il pourrait en exister d’autres. Mais attention : au-dessous de 3 ha en production, les installations de transformation du thé peuvent vite s’avérer difficiles à rentabiliser. Il faut en effet un laboratoire et des machines pour fabriquer le thé vert (fixé au wok ou à la vapeur pendant une minute, puis roulé et séché) ou pour bien laisser flétrir un thé noir…

Les feuilles fraîches de Camellia sinensis ne sont pas naturellement aro­ma­tiques : c’est leur manipulation puis toutes les étapes d’élaboration qui leur confèrent leur saveur si subtile. Produire du thé de qualité demande donc d’être un bon cul­tivateur mais également un bon transformateur !

Pascal Fayolle

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