Le jardin-forêt, comestible, culturel, pédagogique...
Dans les Vosges et le Vexin sont nés deux endroits où le but alimentaire ou exclusivement forestier est largement dépassé. L’espace végétalisé, souvent aménagé par des paysagistes, devient lieu de culture, participatif, invitant à parrainer un arbre...
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Avec les canicules et autres sécheresses successives, il est dorénavant question de trouver des variétés et cultivars dits « résistants », mais également d’autres façons de cultiver et d’utiliser les plantes.
On connaissait les vergers à fruits et les forêts classiques. On connaît les potagers traditionnels pour les légumes. Nombre de villes dépensent des fortunes pour des microforêts* afin de rafraîchir l’atmosphère et de servir de puits de carbone.
Depuis une dizaine d’années, on parle de plus en plus d’agroforesterie et de nombreuses réalisations sont apparues, qui associent très souvent des fruitiers et des légumes, généralement pour des surfaces déjà d’une certaine taille, vouées à la production professionnelle.
Depuis peu, une tendance se développe. On ne compte plus les « forêts-jardins comestibles », les « jardins-forêts », les « jardins-forêts nourriciers »… des œuvres de jardiniers, de novices ou même de paysagistes et/ou d’artistes. Des lieux se rapprochant des potagers où se côtoient arbres, haies, vivaces sauvages, fleurs, légumes...
Dans les pays ultramarins, la pratique n’est pas nouvelle, car chacun sait utiliser judicieusement l’ombre et la lumière en gérant les strates végétales pour protéger du soleil les plantes les plus fragiles.
Les forêts-jardins, en Occident, tendent à dépasser maintenant l’objectif initial, de fournir du comestible et du vivrier, pour ajouter le plaisir d’une pause, un temps de repos pour profiter de l’espace, « hors du temps », ou pour devenir lieu de rendez-vous, de formation, de culture ...
Un jardin-forêt dans les Vosges
Les forêts-jardins à visiter sont encore relativement rares en France, et plus encore dans le Nord-Est. Exception s’il en est, sur une ancienne pâture à poneys est né le site Une figue dans le poirier, à Girmont-Val-d’Ajol, au sud du parc naturel régional des Ballons des Vosges, dans le massif du même nom.
Les plantations ont débuté en 2015 pour un jardin-forêt imaginé et conçu par Lilian Didier, jardinier-paysagiste depuis dix-sept ans, diplômé de l’école horticole de Roville-aux-Chênes (88), formé en 2016 auprès d’Éric Escoffier, de l’association Permaculture et reforestation sans frontières, en « permaculture approfondie et systèmes de culture régénératifs ». Lilian est aussi artiste plasticien.
Selon les concepteurs, la forêt-jardin est « à la fois jardin paysager esthétique et forêt comestible. Une recherche d’équilibre entre esthétique à l’anglaise, esprit japonisant, associant beauté sauvage des paysages naturels et art contemporain ».
Cette zone de 1 ha, à 640 m d’altitude, encore en plein développement, est déjà ouverte aux visiteurs, qui peuvent y découvrir plus de 500 végétaux rares et comestibles provenant des cinq continents. « La beauté aide à sensibiliser le grand public », affirme Lilian Didier. Il leur est possible de parrainer un arbre, afin de participer au développement du jardin. Le prénom de la marraine ou du parrain est inscrit sur la plaque botanique installée au pied de l’arbre choisi. Un geste symbolique pour marquer un grand événement ou acte personnel pour laisser une trace de son passage au jardin, comme une invitation à revenir « au pied de son arbre ».
Multiculturel
Mais le site vosgien est bien plus qu’un jardin-forêt. Ce lieu « allie l’esthétique et l’autonomie vivrière, la fabrication d’outils et le lien social, ainsi que des événements artistiques et culturels ». Ainsi, il propose, pour tous les âges, un planning d’ateliers pour inviter à la créativité, au goût du faire soi-même (do it yourself ou DIY). Il s’ouvre aux activités et sorties scolaires « pour faire germer l’écocitoyenneté », vise « l’éducation à l’environnement et au développement durable pour les élèves du secondaire ». Marjolaine Thouvenot, historienne de l’art, a conçu pour l’occasion des mallettes (scientifiques, ludiques et créatives) pour rendre accessibles les sciences et l’environnement, en particulier le tri des déchets, les graines, les fleurs, les insectes, le cycle de l’eau, l’alternance des saisons…
Au-delà encore, le site invite à découvrir la culture. Il s’ouvre à des ateliers de danse, d’arts plastiques et de théâtre coopératif pour enfants et adolescents.
Le créateur ajoute une autre corde à son arc en relançant une activité de forge, car Lilian Didier s’est formé pour devenir forgeron-taillandier auprès de Julien Puy, de l’association La Guilde du Graal.
Ce type de projet peut aller jusqu’à une vraie « dynamique associative participative à vocations vivrière, environnementale, culturelle, artistique et sociale », indiquent ses créateurs.
Avec sa multiactivité, le jardin-forêt vosgien est répertorié dans le Guide du routard Hautes-Vosges depuis 2017, et labellisé « Forêt l’effet Vosges » depuis 2020.
« Une Île-de-France parsemée de jardins-forêts comestibles ! »
Autre exemple : en mai dernier, le CAUE* du Val-d’Oise a invité à découvrir « le premier jardin-forêt comestible du Vexin, sur l’ancien verger du Moulin de Noisemont, à Chars (95), conçu avec l’association Noisette, de type loi de 1901. « Notre projet est de planter un jardin-forêt comestible appelé “Noisette”, sur une parcelle de 4 000 m2, au cœur du parc naturel régional du Vexin. La création se réalisera en chantier participatif avec tous les Franciliens qui le souhaitent. »
Dès la première visite officielle, les participants pouvaient procéder à la plantation d’une strate herbacée de la forêt.
Ici aussi, le site devrait devenir, à terme, un lieu d’apprentissage, de jardinage et de partage pour petits et grands, et encore un outil pédagogique pour sensibiliser, former et accompagner à la création d’autres jardins-forêts.
Plus largement, comme dans les Vosges, il « aura pour ambition d’éveiller aux enjeux de développement durable, de préservation de la biodiversité et des espaces naturels sensibles. Il sera même à disposition de toute personne, physique ou morale, poursuivant une démarche pédagogique en ce sens (scolaires, étudiants, instances publiques, associations, etc.) ».
Et les créateurs de rêver : « Imaginez une Île-de-France parsemée de jardins-forêts comestibles ! ».
Installées ou éphémères
Une figue dans le poirier et Noisette sont des projets pérennes. Mais certaines forêts-jardins sont éphémères, comme lors du festival Jardins du monde en mouvement. Du printemps à l’automne 2019, le parc de 34 ha de la Cité internationale universitaire de Paris en avait accueilli un échantillon. Au cœur d’un massif de pins, cet espace, qui était structuré autour de passerelles d’observation, a « invité à [s’] interroger sur les modes de production dans leur rapport à l’environnement et au paysage », soulignaient ces quatre paysagistes-concepteurs et designers au sein de L’Atelier de l’ours.
À l’image des nouveaux installés en agriculture et horticulture, de plus en plus, les nouveaux jardiniers au sens très large du terme, transdisciplinaires, cassent les codes, multiplient les activités et les métiers. Ils s’installent en ne rentrant plus dans les codes administratifs cloisonnés. Et les plantes constituent un écrin, une activité de base qui en hébergent beaucoup d’autres, parmi lesquelles les ateliers et la formation.
Odile Maillard*Lire le dossier « La forêt prospère en ville », Le Lien horticole n° 1116 de juin 2022.
**Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement.
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